Note du président du conseil scientifique sur l'implication de la société

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UNE URGENCE SOCIETALE
L’inclusion et la participation de la société à la réponse au Covid-19



Pourquoi la réponse au Covid-19 doit s’ouvrir à la société civile et aux expressions citoyennes ?

La réponse sanitaire a été décidée par le pouvoir exécutif en s’appuyant sur l’expertise scientifique. Elle doit maintenant mobiliser la « démocratie sanitaire ».

Constats

  • L’urgence a justifié d’abord une réponse politique et médicale. La réponse à la crise s’est naturellement centrée, dans un premier temps, sur l’action du système de santé, la mobilisation des ressources matérielles et financières, les mesures de fermeture/réorganisation des activités économiques et le confinement de la population. Elle a mobilisé principalement le politique, l’administration, les scientifiques et les professionnels de santé.
  • Le Conseil scientifique a souhaité dès le départ prendre en compte les enjeux sociaux de la crise sanitaire, par la nomination de deux spécialistes des sciences sociales, puis par l’intégration d’une représentante du monde des ONG (ATD Quart Monde).
  • Les questions éthiques et sociales sont désormais nombreuses dans le contexte de la gestion de la crise sanitaire. Elles méritent d’être discutées dans des lieux où les acteurs de la démocratie sanitaire peuvent retrouver un rôle actif dans la construction de la réponse sanitaire.
  •  : les questions relatives aux garanties des libertés publiques dans la gestion des crises majeures
  • Ex : l’inégalité des citoyens face aux conséquences de l’épidémie (selon leur position sociale, leur appartenance territoriale, leur profession, etc.)
  • Dans sa contribution en date du 13 mars, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) appelait à la « mise en place d’une instance mixte d’experts scientifiques de différentes disciplines, incluant les sciences humaines et sociales, conjointement avec des membres de la société civile, en capacité de prendre en compte l’avis des différentes catégories de la population française, notamment les plus précaires ». Le CCNE indiquait que ceci « constituerait une démarche inédite dans notre démocratie » [1].
  • La montée des critiques. Depuis deux semaines, de plus en plus de voix s’élèvent pour critiquer la gestion de l’urgence sanitaire resserrée autour d’un conseil scientifique nommé par le gouvernement et mis en place de façon ad hoc. Ces mêmes voix appellent à une plus large consultation des multiples instances d’expertise existantes et à une plus grande participation des mouvements divers représentatifs de la société civile et du monde associatif, sans qu’il n’y ait eu une proposition claire à ce jour.

Pourquoi mieux impliquer la société ?

Améliorer la réponse sanitaire au Covid-19 :

  • L’adhésion de la population. Même en situation d’urgence, l’adhésion de la population est une condition importante du succès de la réponse. La confiance des citoyens dans les institutions suppose que celles-ci ne fonctionnent pas exclusivement par un contrôle opéré d’en-haut (élus, fonctionnaires, experts) mais puisse aussi assurer une plus grande implication de la société.
  • L’expertise sociale. Les Organisations de la société civile (OSC) et les ONG ont une expertise spécifique que n’a pas l’administration. Elles ont une excellente connaissance de la diversité des milieux sociaux et, notamment, des catégories de la population les plus vulnérables. Elles ont une capacité́ à comprendre, interpréter et faire remonter les opinions et les attentes venues des territoires.
  • Les réponses locales. Une grande partie des réponses apportées à la crise sont des réponses locales, qui s’appuient sur des élans de solidarité et l’inventivité des associations. Ces dernières jouent un rôle important auprès des populations fragiles (sans-abri, migrants, femmes…). Elles interviennent aussi via des canaux virtuels. Ces actions sont mal appréhendées au niveau central (même si le travail des sciences sociales est de les observer).
  • Éviter que ne se forme une « contre-société » sur Internet en période de crise :
  • La méfiance à l’endroit des élites. L’activité sur Internet est révélatrice de la sensibilité d’une partie de la population aux contre-discours, fausses vérités, rumeurs et propos complotistes qui circulent sur Internet. Une grande partie de la critique réactive l’opposition entre le peuple/élites, gens d’en bas/d’en haut, en associant une partie du monde médical et du monde scientifique aux élites parisiennes.
  • La polémique autour des traitements à base d’hydroxychloroquine est symptomatique de la division entre une « science savante », considérée comme abstraite, hors-sol, parisienne, et une « science du bon sens », concrète, expérimentale, provinciale, à laquelle adhère toute une partie des réseaux antisystème.
  • Préparer la sortie de crise :
  • Une séquence particulièrement sensible. Après le temps du confinement viendra le temps où un vaste débat s’ouvrira sur la gestion de la crise. L’exclusion des organisations de la société civile peut facilement ouvrir la voie à la critique d’une gestion autoritaire et déconnectée de la vie des gens. A l’inverse, leur participation leur donnera une forte légitimité pour prendre la parole au nom de la société et formuler des propositions.
  • La résilience sociale. La crise sanitaire bouleverse l’ensemble des modes de vie et touche tous les secteurs de la vie sociale et économique. Elle est multisectorielle. La sortie de la crise s’accompagnera d’une phase de reconstruction de la société qui nécessitera de penser de multiples transformations institutionnelles, économiques, sociales… Une société ne peut être résiliente si elle n’implique pas les forces sociales organisées et les réseaux de citoyens. Il est absolument nécessaire, dès le moment de la crise, de contribuer à ce que se consolide des échanges et des propositions impliquant le monde associatif, les universités et les sociétés de pensée, les organisations des corps intermédiaires, les médias…

Recommandations pour renforcer l’inclusion et la participation de la société

  • Favoriser la participation de la société à la décision publique
Il y a différentes façons de favoriser la participation de la société à la décision politique :
  • L’administration consultative : l’État associe à sa décision des « conseils », « hauts comités » et « autorités consultatives » dans lesquels sont conviés des universitaires, représentants sociaux, organisations professionnelles, ONG, personnalités nommées… Le pouvoir politique conserve un contrôle assez fort sur la sélection des organisations et des personnes censées « éclairer » la décision publique.
  • La représentation de la société civile : on peut y voir là une acception plus étendue de l’inclusion de la société. Elle suppose une représentation institutionnalisée du monde social, i.e. des organisations reconnues et stables dans des domaines d’activités, et capables de parler au nom de groupes sociaux, d’intérêts spécifiques, ou d’une cause (associations, organisations professionnelles, représentant de culte, etc.). Elle repose sur la participation d’organisations représentatives d’intérêts sociaux à des structures de gouvernance collective.
  • La participation citoyenne (ou démocratie « citoyenne ») : elle repose sur des outils de « démocratie participative » (souvent expérimentaux) visant à permettre aux citoyens de s’impliquer dans la prise de décision. Elle ne suppose pas un modèle de représentation (comme le CESE par ex.). Elle suppose la possibilité, pour tout citoyen quel qu’il soit (notamment les moins favorisés), de pouvoir être impliqué dans le débat. Généralement conçu comme un instrument de démocratie locale (ex : budgets participatifs), elle se développe à l’échelle nationale comme une solution aux défaillances de la démocratie représentative (ex : Convention citoyenne pour le climat).
  • Distinction entre le court-terme et le moyen-terme

Il est important d’identifier les attentes à CT (comment mieux intégrer la société dans le contexte de crise, i.e. les 3 à 8 prochaines semaines ?) et le MT (quel rôle donner aux citoyens, aux institutions de la société civile, conseils et hauts comités existant dans la sortie de crise et la réflexion sur les transformations sociales).

  • Les propositions qui suivent se concentrent sur le CT autour de 3 enjeux :
  • Efficacité de la décision. Comment faire remonter des informations venant de la société (au niveau local ou sur les réseaux) et des organisations de la société civile, de façon à produire une décision qui tiennent compte…
  • des ressentis de la période (ex. limitation des libertés, confinement, etc.)
  • des questions pratiques qui surgissent dans la société (ex. problèmes particuliers de certains territoires ou certaines populations)
  • des attentes qui s’expriment hors des structures institutionnelles ?
  • Adhésion sociale, confiance et légitimité. Dans une perspective descendante, comment communiquer sur les décisions pour qu’elles soient reçues et comprises, i.e. surmonter la méfiance, la résistance et la critique qui ne manque pas de circuler sur les réseaux sociaux.
  • Réflexion des questions éthiques et sociales
  • Liées aux libertés publiques : avoir une boucle de contrôle démocratique pour vérifier que les mesures d’exception et les restrictions nécessaires de libertés sont proportionnées à la crise. Question de l’État de droit.
  • Liées aux questions d’équité et d’inégalités (territoires et populations)

Propositions pour « garder la confiance »=

PROPOSITION N° 1 : CREER UN COMITE DE LIAISON AVEC LA SOCIETE

Après la phase purement opérationnelle des premières semaines, qui a justifié une gestion très resserrée de la crise pour répondre aux enjeux de santé et de sécurité collective, il est important de commencer à élargir l’espace de prise de décision à la société civile et à divers organes représentatifs déjà existants dans l’environnement de l’État (type : autorités indépendantes, hauts conseils et comités consultatifs).

  • Cet élargissement pourrait prendre une forme tripolaire, associant :

Au niveau de la stratégie d’aide scientifique à la décision, poursuivre l’activité du Conseil scientifique COVID-19.

Au niveau proprement scientifique, poursuivre l’activité du CARE qui peut apporter son éclairage dans les domaines touchant les médicaments antiviraux, les thérapies immunologiques, les nouveaux outils du numérique, l’organisation de la recherche, etc, en y incluant un ou deux représentants associatifs.

Au niveau de la démocratie sanitaire, créer un « Comité de liaison avec la société » qui pourrait rendre des recommandations sur les questions sociales et les enjeux éthiques et émettre des signaux d’alerte. Sa composition serait la suivante :


  • Le CESE, la CNS et la CNCDH, instances fondatrices du comité, pour représenter largement les différents acteurs concernés et notamment le secteur médico- social, les représentants des usagers du système de santé, les corps intermédiaires. Chacune de ces instances désignerait 3 participants (dont leurs présidents) : soit au total 9 membres.
  • Mais aussi des personnes qualifiées au nombre de 6 pour représenter des organisations ou apporter une expertise particulière, notamment :
  • France Assos Santé
  • Société française de santé publique (SFSP)
  • Acteurs impliqués dans une précédente crise sanitaire (ex. : VIH-SIDA)
  • Acteur de la solidarité et de la lutte contre l’exclusion
  • Acteur dans le champ éthique
  • Autres

La représentante associative du Conseil scientifique COVID-19 est une invitée permanente pour faciliter l’articulation entre les 2 Conseils.

  • Missions et fonctionnement
  • Le comité de liaison avec la société serait créé par les pouvoirs publics. Il serait placé au côté du Premier ministre.
  • Ce comité de liaison avec la société serait indépendant. Il serait source de propositions et de signaux d’alerte en s’appuyant notamment sur les remontées d’une plateforme participative.
  • Il pourrait répondre à des saisines du Gouvernement, à des saisines du Conseil scientifique COVID-19, du comité CARE ou à des auto-saisines.

Il rassemblerait au plus 15 membres. Il s’appuierait pour sa logistique sur le secrétaire général de la CNS et sur le délégué général de la SFSP. Il pourrait être appuyé dans ses travaux par des administrateurs du CESE.

Il se réunirait en plénière (présentiel ou non) au moins trois fois par semaine. Il disposerait d’un règlement intérieur et serait apte à adopter, en toute indépendance, ses avis, alertes et recommandations.

PROPOSITION N° 2 : UNE PLATEFORME PARTICIPATIVE

Pour de nombreuses raisons (toutes les solutions ne sont pas nationales et étatiques, administratives et scientifiques), la création d’une « plateforme participative », gérée par une équipe de modérateurs permettrait l’expression des attentes, la circulation des idées, le partage d’informations et d’outils cartographiques, la production de connaissances sur la façon dont les gens vivent les mesures mises en place, le ressenti sur les différentes options opérationnelles, voire la création de projets ou d’événements. Elle permettra de construire des réflexions ouvertes qui ne soient pas enfermées dans les identités ou appartenances des organisations et des institutions (identités syndicales, professionnelles, locales, communautaires…)

Cette plateforme comprendrait 2 axes :

  • Une interface de dialogue citoyen, permettant et facilitant l’expression du vécu et du ressenti des individus.
  • Une interface de contributions des organisations (associations, collectivités, groupements professionnels, ...) permettant et facilitant l’analyse des situations.

Le contenu de cette plateforme serait accessible aux membres du Comité de liaison avec la société

Le fonctionnement et l’animation de cette plateforme participative implique une dotation en terme de ressources (techniques et humaines).

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  1. https://www.ccne-ethique.fr/fr/publications/la-contribution-du-ccne-la-lutte-contre-covid-19-enjeux-ethiques-face-une-pandemie.