ALLISS - Colloque « Tiers secteur de la recherche – Une innovation de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche » - 20 janvier 2020 – Assemblée nationale
ALLISS
Colloque « Tiers secteur de la recherche – Une innovation de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche »
20 janvier 2020 – Assemblée nationale
Sommaire
- 1 OUVERTURE
- 2 Table ronde n° 1 - POINT DE VUE DES ETABLISSEMENTS PUBLICS
- 2.1 CONTRIBUTIONS
- 2.1.1 Philippe Mauguin – Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement)
- 2.1.2 Michel Eddi – Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement)
- 2.1.3 Ola Soderstrom – Fonds national suisse de la recherche scientifique
- 2.1.4 Jean-Christophe Niel – IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire)
- 2.1.5 Nathalie Dompnier – CPU (Conférence des présidents d’universités)
- 2.1.6 François Houllier – Ifremer (Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer)
- 2.2 DISCUTANTS
- 2.3 SYNTHESE
- 2.1 CONTRIBUTIONS
- 3 Table ronde n° 2 - POINT DE VUE DU TIERS SECTEUR DE LA RECHERCHE
- 3.1 CONTRIBUTIONS
- 3.1.1 Rachid Cherfaoui – Institut Godin
- 3.1.2 Mélanie Marcel – SoScience
- 3.1.3 Anne Jacquelin – La Fabrique des Territoires Innovants
- 3.1.4 Romain Troublé – Tara Expéditions
- 3.1.5 Claude Tran – Inversons la classe !
- 3.1.6 Manon Réguer-Petit – Agence Phare
- 3.1.7 Sandrine Dupé – IREPS Bretagne (Instance régionale d’éducation et de promotion de la santé)
- 3.1.8 Matei Ghiorghiu – Réseau français des FabLabs
- 3.2 DISCUTANTS
- 3.2.1 Jean-Benoît Dujol – Direction de la Jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative (Djepva)
- 3.2.2 Noémie de Grenier – Coopaname
- 3.2.3 Haud Le Guen – RÉSO solidaire
- 3.2.4 Gabriel Plassat – La Fabrique des Mobilités (FabMob)
- 3.2.5 Yannick Blanc – La Fonda
- 3.2.6 Héloïse Dufour – Cercle FSER
- 3.2.7 Benjamin Gentils – Tiers-lieux édu
- 3.2.8 Emilie Sarrazin – RésO Villes
- 3.2.9 Arnaud Samba – UNCPIE (Union nationale des Centres permanents d’initiatives pour l’environnement)
- 3.1 CONTRIBUTIONS
- 4 SYNTHESE
- 5 CLOTURE
- 6 CONCLUSION
- 7 LE TIERS SECTEUR DE LA RECHERCHEUNE INNOVATION DE LA LOI DE PROGRAMMATION PLURIANNUELLE DE LA RECHERCHE 20 JANVIER 2020
OUVERTURE
ACCUEIL
Yannick Kerlogot – Député
Je suis député des Côtes-d’Armor et membre de la Commission des Affaires culturelles et de l’Education de l’Assemblée nationale.
L’Alliss m’a convaincu d’un dossier dont les parlementaires doivent s’emparer : le tiers secteur de la recherche.
Le domaine de la recherche se répartit en deux pôles : le pôle public d’enseignement supérieur de la recherche et le pôle de la recherche industrielle. Le développement des formes de coopération entre l’un et l’autre fait partie des enjeux actuels. Le tiers secteur de la recherche est quant à lui composé d’acteurs du secteur non-marchand (les associations, les syndicats, les collectivités locales), d’acteurs du secteur marchand à but non-lucratif (l’économie sociale et solidaire), de groupements professionnels et d’organisations à but lucratif de petite taille comme les auto-entrepreneurs et les groupements agricoles.
Aucune allusion à ce qui est déjà identifié comme le Hors Murs
Certaines activités de co-recherche sont déjà portées dans le tiers secteur de la recherche, autour de cinq grands défis :
- la soutenabilité des économies,
- le ressourcement des écosystèmes,
- la résilience des sociétés,
- la cohésion des territoires et
- l’approfondissement démocratique.
Nous sommes donc bien au niveau "participatif".
Le rendez-vous de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) doit être saisi pour débattre et défendre cette thématique. Le sujet est mûr du point de vue des acteurs, mais une instruction est encore nécessaire. Nous devons notamment doser les types d’agencements institutionnels pertinents et adaptés.
A quelques mois de la LPPR, qui doit permettre pour la première fois de projeter le financement de la recherche dans la durée, il est temps pour vous de défendre la légitimité d’une place et d’un titre à accorder au tiers secteur de la recherche, et pour nous, parlementaires, de vous entendre et de nous en nourrir. C’est l’objectif de ce colloque.
PRESENTATION GENERALE
Lionel Larqué – Alliss
Je vais faire une introduction pour donner le cadre politique de la discussion d’aujourd’hui. Ce cadre est assez simple.
Le sujet dont on va parler est sur la table en France depuis la fin des années 1990. Il aura fallu une vingtaine d’années pour que les signaux faibles atteignent une certaine forme de maturité – y compris maturité de relations et de qualité de débat entre les établissements et ce tiers secteur de la recherche, comme nous l’avons appelé il y a trois ans. Je rappelle qu’à l’époque, en 2017, on avait évoqué deux notions : un tiers état de la recherche, pour la base sociale qui collabore avec le monde de la recherche, et le tiers secteur, qui en est la manifestation économique.
Jusqu’à la loi de 2013, la seule mention du lien entre le monde académique et la société civile, dans le cadre du système français de recherche et d’innovation, concernait la diffusion de l’information scientifique : la « politique de culture scientifique et technique », comme on a fini par l’appeler dans les années 1970, désignait alors la diffusion de la connaissance scientifique du haut vers le bas.
En 2012, nous avons fait à la fois un travail de doctrine et un travail de norme, où apparaissait la notion d’interaction science-société. Cette notion-là a eu quelques effets collatéraux : un rapport sur la recherche partenariale au niveau du ministère des Finances, et le rapport de François Houllier sur les recherches et sciences participatives. Ceci a permis d’instruire le sujet du point de vue de l’administration.
En 2017, après quatre années d’un travail assez intense qui a mobilisé des établissements publics d’enseignement supérieur et de recherche et des acteurs de la société civile, nous avons proposé à l’Office parlementaire de l’évaluation des choix scientifiques-techniques (OPECST) un Livre blanc destiné à mettre un peu de chair et de corps sur ce dont on parlait de façon idéologique et théorique.
C’est à l’occasion de ce travail de formalisation qu’est apparue la notion de tiers secteur de la recherche, derrière laquelle une grande partie des acteurs sociaux s’est trouvée plutôt à l’aise. Je souligne « plutôt », car aucune notion ne sera jamais assez parfaite et assez fine pour représenter la grande diversité des acteurs qui vont s’exprimer aujourd’hui.
Depuis 2017, nous avons travaillé en lien avec l’administration du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. A l’automne 2017, le directeur général de la Recherche et de l’Innovation nous a proposé de rendre concrètes les propositions du Livre blanc si ces politiques devaient être instruites par le ministère. Nous avons fait dix-sept propositions de fiches-actions claires et budgétées, que le ministère instruit actuellement. Nous avons bien compris que si l’impulsion politique n’était pas là, le ministère aurait, culturellement et administrativement, des difficultés à aller au bout de la logique.
La séquence qui nous réunit aujourd’hui a été ouverte par le premier ministre en février 2019, avec l’annonce d’une loi de programmation pluriannuelle de la recherche, dont l’article 1 devrait préciser le niveau d’investissement national pour la période 2021-2027. Nous avons alors décidé de participer au débat. Nos échanges avec les cabinets du président de la République, du premier ministre et de la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, ont démontré que le plaidoyer pro domo que nous avions fait dans les années 2000-2010 était arrivé à son terme. L’enjeu aujourd’hui n’est de montrer à quel point ce que nous faisons est utile et nécessaire, mais de voir si ce travail a une place en termes de politiques publiques, et si oui sous quelle forme et à quelle hauteur.
Cet après-midi, il s’agit donc pour l’ensemble des acteurs d’exprimer concrètement, si la politique publique d’enseignement supérieur et de recherche fait une place à l’ensemble de la société, quelle est-elle, quelle doit-elle être, et de quelle manière cela conforte aussi les établissements publics supérieur et de recherche. Ces analyses et propositions politiques enrichiront la préparation du débat en commission qui aura lieu probablement au second semestre.
Table ronde n° 1 - POINT DE VUE DES ETABLISSEMENTS PUBLICS
CONTRIBUTIONS
Philippe Mauguin – Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement)
L’Inra et Irstea ont fusionné le 1er janvier 2020 pour former un nouvel établissement public à caractère scientifique et technologique, Inrae. Je vais présenter quelques projets concrets que l’on a menés avec le tiers secteur qui peuvent illustrer, au moment où l’on va débattre de la LPPR, les enjeux et l’intérêt de ces partenariats pour la communauté scientifique.
D’abord, un très beau projet, CiTique, lancé en 2017 en Meurthe-et-Moselle avant d’être étendu à toute la France, visant à collecter auprès des particuliers des échantillons de tiques qui avaient pu les piquer, afin de dresser une cartographie puis de déterminer les agents infectieux transmis. Cela a débouché sur le lancement d’une application smartphone qui a fourni des données aux chercheurs et a permis d’avoir une cartographie complète.
Le deuxième exemple, très différent, touche un champ plus traditionnel pour Inrae. Au début des années 2000, les producteurs de blé dur bio se plaignaient de l’absence de variétés correspondant aux enjeux du bio dans le catalogue des semences. Nous avons lancé un travail participatif avec nos chercheurs et des paysans inscrits dans le bio afin de passer en revue l’ensemble des variétés, et nous avons réussi, de façon concertée, à en produire une nouvelle, la fameuse LA1823, qui a rencontré un grand succès. Elle est bien pour les agriculteurs en bio, elle est bien en rendement, elle est d’une bonne qualité pour les pâtes. C’est un exemple très concret de ce que l’on peut faire en recherche participative.
Plus récemment, nous avons co-conçu une enquête, avec une organisation de défense des consommateurs, sur les attentes des consommateurs en matière d’alimentation. Tout a été conduit en partenariat, depuis la conception de l’enquête jusqu’à ses enseignements, en passant par sa réalisation avec des bénévoles de l’association et nos chercheurs. Cela a débouché sur des pistes de recherche.
On n’a que des raisons de se réjouir de la visibilité à cinq ans qu’offrira la future LPPR. J’espère même que cela ira jusqu’à la décennie, pour faciliter nos recrutements et pour co-investir entre les acteurs de la recherche, l’université, des écoles, et pourquoi pas aussi avec le tiers secteur qui pourrait être reconnu dans l’un des chapitres du code de la recherche. Nos partenaires associatifs ont en effet des difficultés pour autofinancer la phase initiale de construction d’un projet, avant d’aller vers les agences. On souhaite que cette loi puisse être l’occasion de reconnaître le rôle de ce tiers secteur, et peut-être de trouver des outils dédiés.
Michel Eddi – Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement)
Le Cirad est un organisme de recherche finalisée, dans les champs de l’agriculture, de l’environnement et de l’alimentation. A côté de ce métier classique de recherche, il deuxième métier de coopération scientifique avec les pays du Sud. Dans ce cadre, il cherche à construire avec les acteurs du tiers secteuet avec les acteurs politiques de ces pays, des trajectoires de développement durable qui les inscrivent dans les grands agendas internationaux et qui assurent la durabilité et la soutenabilité de leur société et de leur développement.
Le Cirad considère nativement que le tiers secteur des pays du Sud tient une place essentielle, stratégique, fondamentale, basique, dans l’accomplissement de sa mission. Le tiers secteur est à la fois à l’origine des questions qu’il traite, et la cible des réponses qu’il cherche à apporter à travers la science, l’innovation et toutes ses autres productions. Il travaille dans un rapport structurellement dépendant de ces acteurs, de la conception des projets à leur mise en œuvre et leur évaluation.
En voici deux exemples. Le Cirad, en premier lieu, a fait évoluer ses modes de programmation pour tenir compte de cette réalité structurelle. Ainsi la méthode de programmation ImpresS, tournée vers l’impact, consiste à construire avec tous les acteurs, dès la conception d’un projet de recherche, une trajectoire du changement dont ce projet sera porteur. Il s’agit de se poser la question de savoir quels seront les effets ex ante de l’activité de recherche, que l’on pourra ensuite observer avec ces acteurs ex post. Cela modifie profondément les modes de programmation et de gestion des projets de recherche de l’établissement.
L’autre exemple concerne plus particulièrement l’Afrique, où la recherche agronomique internationale sélectionne depuis des décennies des variétés d’excellence de manioc, qui constitue l’un élément de base de l’alimentation des populations. Pourtant, ces variétés ne sont pas utilisées par les consommateurs, dont les critères de choix sont la qualité gustative et la reconnaissance culturelle des produits bien plus que l’excellence des processus de sélection génétique. Le Cirad a donc cherché à inventer avec les consommateurs, et à partir de leurs besoins, un nouveau schéma de sélection permettant de répondre à ces conditions. En inversant le processus, on a permis au tiers secteur de déterminer le schéma de sélection.
S’agissant de la LPPR, le Cirad suggère de :
- Renforcer et donner une visibilité politique au tiers secteur à travers la loi.
- Réaliser ce travail dans une perspective non pas simplement française, mais internationale.
- Donner à la recherche participative / partenariale les moyens, et peut-être les outils, lui permettant d’être plus visible.
L’ANR a fait la preuve de ses qualités en matière de programmation de recherches de qualités académiques : on pourrait imaginer qu’elle soit aussi utilisée pour porter des projets de recherche finalisée impliquant le tiers secteur, dans la programmation, l’exécution et l’évaluation des projets.
Ola Soderstrom – Fonds national suisse de la recherche scientifique
Je suis membre de la division Sciences humaines et sociales du Fonds national suisse (FNS), l’unique agence de financement de la recherche publique au niveau national. Chaque année, le FNS consacre plus d’un milliard d’euros au financement de la recherche. Ce financement est essentiellement libre : 20 % seulement des fonds sont fléchés et orientés à travers les programmes de recherche nationaux.
En Suisse, un plan pluriannuel régit également le FNS et le secteur de l’éducation à la recherche.
Nous avons passé l’année 2019 à définir la stratégie, les principes et les priorités qui vont permettre
de financer la recherche pour la période 2021-2024. Nous y avons travaillé au sein des divisions, au niveau de la présidence et dans le cadre d’ateliers. Nous avons aussi consulté des experts internationaux pour nourrir notre réflexion. Ce plan, qui est actuellement en débat au parlement, demande une progression de 3,5 % par rapport au budget précédent.
Dans notre plan pluriannuel, nous avons voulu dépasser les mantras de la compétitivité et de l’excellence qui sont omniprésents dans la politique de la recherche depuis des décenriorités, dont certaines sont directement en relation avec nos échanges d’aujourd’hui :
- La diversité de la recherche. Nous avons voulu favoriser les carrières féminines ainsi que les profils de chercheurs qui travaillent dans le tiers secteur de la recherche. Cela passe concrètement par la révision des curriculum vitæ, de manière à accueillir et évaluer ce type d’activités plutôt que d’évaluer les outputs traditionnels (publications, etc.). Nous avons aussi décidé d’appliquer la déclaration de San Francisco de 2013 sur l’évaluation de la recherche, qui plaide pour des métriques dites « responsables ». C’est l’un des instruments qui permet un regard différent sur les profils de recherche.
- La recherche collaborative. Il y a deux volets : d’une part le financement de consortia de recherche de taille moyenne, c’est-à-dire des équipes de 4 à 10 laboratoires, et d’autre part la possibilité de favoriser le travail de collaboration avec le tiers secteur de la recherche. Nous estimons qu’il faut soutenir les projets fondés sur la co-formulation de problèmes de recherche et la coréalisation de recherches avec le tiers secteur. Il faut avant tout sensibiliser, communiquer auprès des chercheurs et du tiers secteur de la recherche sur cette possibilité, afin qu’ils se saisissent de cette opportunité programmatique.
- Les réseaux thématiques de mise en œuvre de la recherche. Il s’agit là de casser les silos et de tirer profit du potentiel d’innovation sociale de recherches financées par le FNS, en mettant ces recherches et ces chercheurs en contact avec les destinataires de cette recherche. Nous avons prévu 7 millions pour ces réseaux thématiques de mise en contact.
Durant ce travail d’une année, nous avons pu mesurer à quel point cette tendance est internationale.
Il y a une prise de conscience que les défis, en particulier ceux des Objectifs de développement
durable (ODD), nécessitent des dispositifs de travail avec le tiers secteur de la recherche.
Jean-Christophe Niel – IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire)
L’IRSN est l’expert public du risque radiologique et nucléaire. Nous évaluons les risques liés aux
rayonnements ionisants sous toutes leurs formes (les réacteurs nucléaires, le médical, le radon, les
rayons cosmiques). Ce travail d’évaluation mobilise de l’expertise et de la recherche.
L’IRSN est impliquée dans l’ouverture à la société depuis sa création en 2001. C’est l’un des axes
stratégiques de notre contrat d’objectifs. Notre baromètre annuel de la perception des risques par
les Français montre les attentes des citoyens sur ces sujets. Cette démarche d’ouverture à la société
est portée par nos experts, nos chercheurs, et animée par notre service de politique d’ouverture à la
société. Elle s’appuie sur une charte d’ouverture à la société que nous partageons avec sept autres
organismes. Nous nous engageons notamment à contribuer à la montée en compétences des
acteurs, et à véritablement partager nos recherches, et non pas simplement les mettre à disposition.
Nous pratiquons cette ouverture à la société depuis pas mal de temps dans le domaine de l’expertise,
au sein de commissions locales d’information (sur la cuve de l’EPR, sur les déchets radioactifs...).
Nous la pratiquons aussi désormais dans le domaine de la recherche, au travers notamment d’un
Comité d’orientation de la recherche (COR) qui rassemble différents collèges : un collège d’experts,
un collège d’associatifs et un collège d’élus. Ce COR va nous aider à orienter la recherche par rapport
à des enjeux sociétaux.
Deux exemples de travaux que nous menons :
- Nous participons avec l’Ineris et l’Inrae à un groupe de travail sur les orientations pluralistes des
recherches vis-à-vis des risques chroniques, notamment ce que l’on appelle l’exposome, c’est-à-
dire la conjonction de multistresseurs sur la durée de vie des personnes. Ce sujet interpelle
beaucoup nos concitoyens.
- Après la catastrophe de Fukushima, nous avons développé un outil de mesure de la radioactivité
que chacun peut construire. Les mesures sont reliées à un site Internet qui permet de partager
ces résultats. Cela fonctionne très bien. Nous avons organisé début janvier la première réunion
de cette communauté, et nous proposons de mettre cet outil à disposition de passagers d’avions
pour mesurer la dose reçue au cours des voyages aériens : cela pourrait aider les chercheurs sur
l’évaluation des éruptions solaires.
Pour nous, l’enjeu de cette ouverture à la société n’est pas de la communication. Il s’agit
d’appréhender les sujets d’une autre manière, et de faire de l’expertise et de la recherche autrement.
L’un des multiples effets que l’on peut en attendre est d’accroître l’opérationnalité de nos
recherches. Comme notre recherche doit être finalisée, autant qu’elle soit orientée vers les
destinataires finaux.
On attend du processus en cours de pouvoir accroître la légitimité et la reconnaissance de ces
processus de recherche participative, et de les inscrire dans la durée. Ça peut aussi nous permettre
d’échapper au « biais de proximité », en élargissant notre champ à d’autres acteurs.
Nathalie Dompnier – CPU (Conférence des présidents d’universités)
Dans ses propositions pour la LPPR, la CPU a suggéré « d’encourager et d’accompagner l’innovation
sociale par le développement des recherches partenariales avec les collectivités, associations et
groupes organisés ». Il faut aller plus loin. De quoi avons-nous besoin, dans le cadre de la LPPR, pour
renforcer ces liens sciences-société et favoriser dans nos universités les démarches de recherche
participative, en lien évidemment avec ce tiers secteur ?
Je vais essayer de dégager quelques pistes en partant d’un constat : les pratiques de recherche
participative se développent dans nos établissements, rencontrent un vif intérêt dans les
laboratoires, et sont de plus en plus perçues comme un impératif – parfois même une urgence
sociale – par nos équipes de recherche. Mais si des initiatives diverses et variées naissent dans les
établissements pour encourager ces pratiques de recherche, on observe un certain nombre de freins,
ce qui explique sans doute qu’elles peinent à prendre l’ampleur qu’elles mériteraient d’avoir dans
notre système d’enseignement supérieur et de recherche.
Plusieurs pistes sont à explorer pour répondre à ces enjeux.
La première question est celle du financement. Les partenaires de ces recherches n’ont pas, pour la
majorité d’entre eux, les moyens de les financer ou les cofinancer, d’où la rareté des thèses CIFRE
(Convention industrielle de formation par la recherche) dans ces domaines. Au Québec, les
universités qui ont développé de puissants services aux collectivités ou aux communautés ont dû
financer ces activités sur leur propre budget. Il faut donc trouver des vecteurs de financement
originaux pour ces recherches. Les appels à projets ne sont pas forcément les plus adaptés à de telles
démarches. Leur temporalité n’est pas celle de la recherche collaborative : celle-ci prend du temps,
c’est de la construction de liens avec les acteurs sociaux, de la confiance, de l’explicitation et du
partage de la démarche de recherche. Plusieurs années sont souvent nécessaires avant de parvenir
aux premiers résultats.
En second lieu, il est nécessaire de favoriser la co-construction des thématiques et des
problématiques de ces recherches. Or, les appels à projets autour des grands enjeux de société sont
fondés sur une conception descendante des priorités. Si cela peut faire sens au regard des priorités
de l’action publique, ce n’est pas forcément pertinent pour les acteurs de terrain. L’une des clés du
succès des boutiques des sciences est de permettre aux structures de terrain de venir avec leurs
préoccupations, leurs attentes, leurs questions, les universités réalisant ensuite avec elles un travail
de remédiation, de traduction de ces sujets.
Le dernier point touche au fait que les démarches de recherche participative n’interviennent que de
manière très secondaire dans l’évaluation des chercheurs. Celles-ci prennent du temps, et ce temps
n’est pas ou est mal reconnu, ce qui n’incite pas les chercheurs à les prolonger ou à les mener. Mieux
vaut, dans une carrière de chercheur, publier dans une revue de premier plan.
Leszek Brogowski – Université de Rennes 2
Afin de préciser l’objet dont nous parlons aujourd’hui, nous utilisons le critère de la triple pertinence
des projets entrant dans le champ du tiers secteur de la recherche.
- La pertinence pour les chercheurs. L’enjeu est de pouvoir produire et diffuser des connaissances
dans le monde académique. Ce critère permet :
- d’éviter les accusations d’instrumentalisation de la science et des universités en fonction des
seules recherches utiles et applicables ;
- d’éviter les dérives consistant à faire passer pour de la recherche un « simple »
accompagnement social ou une activité culturelle.
Pour cela, il faut :
- réfléchir sur un cadre national pour la reconnaissance institutionnelle, dans les carrières des
enseignants-chercheurs, des recherches participatives et citoyennes ;
- envisager l’accès aux financements, sur les plans régional, national et européen.
- La pertinence pour les partenaires. L’enjeu est de pouvoir produire des connaissances
mobilisables et actionnables par les acteurs. Ce critère permettrait de surmonter le hiatus entre
l’abstraction des connaissances scientifiques et la certitude des savoirs ordinaires, distribués
entre les acteurs sociaux et souvent validés par les pratiques. Cette rupture a été considérée
comme un des facteurs déterminants de la crise dans laquelle l’Occident est entré avec la
Seconde Guerre mondiale. L’avantage de telles recherches est de produire des connaissances
non seulement universellement valides, et donc vraies au regard des procédures de validation
des connaissance, mais encore socialement non aliénées et objectivées par le fait d’être
mobilisables par la société.
- La pertinence sociétale. Les enjeux sont ceux de la connaissance comme bien commun, de la
promotion des groupes défavorisés, de la mise en débat public de questions et d’enjeux, de
l’innovation sociale. Le critère de la pertinence environnementale, sanitaire ou éthique est d’ores
et déjà présent dans les appels à projets, mais il faut aller plus loin dans cette réflexion et
reconnaître l’intérêt collectif comme une valeur en soi. Pour que les recherches correspondant à
ce critère puissent se produire, il faut les mettre à l’abri des pressions du secteur marchand et
d’une vision à court terme. Aujourd’hui, elles sont protégées d’une part par les statuts des
chercheurs et les cadres de la recherche publique (universités, laboratoires, groupements
d’intérêts scientifiques, etc.), et d’autre part par le monde associatif, les structures de l’économie
sociale et solidaire et les collectivités territoriales. Ce type de recherche trouve sa légitimité dans
le bien commun, les politiques publiques et l’intérêt collectif, et produit de nouvelles formes
d’intelligence collective, de capacités des acteurs, du lien social, du bien-être, etc. Il faut
reconnaître la réalité de ces valeurs non marchandes et non économiques, et modifier les
modalités d’évaluation en privilégiant des critères qualitatifs.
Un exemple : le laboratoire de psychopathologie de Rennes 2 a mené des recherches sur la prise
en charge des patients douloureux chroniques, dont l’application est aujourd’hui avérée dans
plusieurs CHU. Cette prise en charge produit des effets économiques dont l’évaluation, complexe,
nécessiterait un nouveau projet de recherche. Mais a-t-on besoin de connaître l’impact
économique de ces recherches pour en reconnaître la légitimité, si elles soulagent les souffrances
des patients ? Si la recherche était entièrement sous la pression des critères marchands, ce projet
ne pourrait voir le jour.
François Houllier – Ifremer (Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer)
Les sciences en société ont été inscrites comme l’une des quatre priorités de l’Ifremer à l’horizon
2030. Les sciences participatives, le lien au tiers secteur de la recherche, les sciences hors-les-murs,
en sont des composantes, que nous explorons toutes. Je peux témoigner de la nécessité de prendre
du temps, aussi bien pour que les chercheurs rentrent dans de telles logiques, que pour comprendre
les initiatives qui viennent de l’extérieur.
Plus globalement, je veux souligner la montée en puissance des sciences en société en France. Les
Académies nationales des Sciences – de Médecine, d’Agriculture – et l’Office parlementaire
d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) y ont récemment consacré des
sessions. Tout aussi frappant, les Académies des Sciences du G7 ont rendu une déclaration sur ce
sujet en 2019.
Par ailleurs, il y a un continuum entre ce qui relève du domaine de la cognition, de la production de
connaissances, de la production d’articles scientifiques, et ce qui relève plutôt de l’innovation. Je
n’en étais pas forcément convaincu il y a cinq ans, mais je pense que ce continuum est en train de
monter en puissance et qu’il est un des vecteurs qui rendent plus visible le tiers secteur de la
recherche.
Je ferai deux suggestions.
Premièrement, je suis favorable à la mise en place de dispositifs qui soient plutôt graduels. Nous
avons tous besoin d’apprendre, de monter en capacité dans les établissements, les universités, les
différents organismes. Si l’on part sur des mesures-seuils binaires, je pense que l’on aura de la peine
à s’adapter. De la même manière, le tiers secteur de la recherche a lui-même besoin de monter en
puissance et en capacité. Si l’on veut des collaborations équilibrées, il nous faut donc un dispositif
graduel.
Deuxièmement, il faudrait que les dispositifs, les financements ou les mesures qui seront mis en
place reconnaissent le tiers secteur de la recherche comme on reconnaît les collaborations avec
d’autres acteurs socio-économiques, notamment au titre du lien à l’innovation. Si l’on veut
reconnaître qu’il y a de l’innovation avec des entreprises ou de l’innovation sociale, il nous faut des
dispositifs de même nature que ceux que l’on a avec les entreprises, grandes ou petites.
13
DISCUTANTS
Nicolas Chaillet – Ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation (MESRI)
J’ai écouté avec beaucoup d’attention ce qui a été dit, et je reprendrais facilement beaucoup d’entre
elles à mon compte.
Pour dire un mot de contexte, je veux rappeler que le monde de la recherche est agile et qu’il sait
évoluer. En deux ou trois décennies, nous sommes passés, et ce assez récemment, d’une recherche
disciplinaire à une recherche autour des grands enjeux sociétaux. Et, de manière consubstantielle, il
y a nécessairement la question de la recherche participative : on ne peut plus aujourd’hui faire tout
seul de la recherche sur les enjeux sociétaux, au-delà même de la question de la pluridisciplinarité,
de l’interdisciplinarité. C’est assez nouveau et nous devons le souligner.
Deuxième point : nous sommes un certain nombre ici à avoir vécu l’intégration de l’innovation dans
le logiciel des chercheurs. Cette notion s’étend petit à petit vers des innovations qui ne sont pas
uniquement « technologiques » mais plus larges, et notamment sociétales. Cela veut dire que le
monde de la recherche est en grande capacité d’évoluer avec son temps, et bien sûr de devancer les
enjeux sociétaux de demain.
S’agissant de la LPPR, la ministre Frédérique Vidal a précisé qu’elle n’est pas thématique. C’est un
ensemble d’outils – financiers en premier lieu – qui vise à développer une recherche plus large et plus
forte sur ces grands enjeux sociétaux.
Je voudrais donner quelques éléments :
- Les chercheurs et les enseignants-chercheurs ont besoin aujourd’hui d’être évalués à l’aune de la
largeur de leur activité. Cela renvoie à la question de la reconnaissance de l’ensemble des
activités liées à la recherche, qui sont plus larges aujourd’hui qu’hier. Mais il faut être en capacité
de les objectiver – y compris les démarches avec le tiers secteur de la recherche.
- Nous espérons tous un budget beaucoup plus important pour la recherche – notamment, mais
pas exclusivement, via l’Agence nationale de la recherche (ANR).
- Ces sujets sont larges et nécessitent de pouvoir discuter à plusieurs ministères. La co-
construction des prochains appels à projets de l’ANR doit donc se faire dans une
interministérialité renforcée, qui embrasse l’ensemble des sujets auxquels nous devons nous
adresser.
- Nous devons absolument développer la science ouverte car elle est une fenêtre énorme ouverte
sur le citoyen, sur les politiques publiques. Nous avons besoin de la développer, et elle doit
présente dans la LPPR.
- N’oublions pas que nous sommes à l’aube du programme de recherche et d’innovation Horizon
Europe : nous devons tous œuvrer pour que notre acception de la recherche, dans cette
assemblée, soit portée à l’échelle européenne. C’est le sens de l’avenir de ce continent.
Sylvie Ollitrault – UMR Arènes (Université de Rennes 1)
L’UMR Arene est un laboratoire de recherche en sciences sociales basé à Rennes, placé sous la
tutelle de l’Ecole des hautes études en santé publique, de Sciences Po Rennes et de l’Université de
Rennes 1.
La structure même de mon intervention se base sur mon expérience de directrice de laboratoire, et
en particulier sur l’évolution que j’ai observée vis-à-vis de l’idée du partenariat avec le secteur privé
(c’est-à-dire au-delà de la recherche publique) : cela a longtemps été vu d’une manière suspicieuse,
mais les choses changent d’une manière accélérée. Dans mon laboratoire, j’ai ainsi pu voir la
multiplication des supports CIFRE et des cofinancements. La dynamique est là, mais il faut
s’interroger sur certains freins liés à la communauté des chercheurs. Une CIFRE ne rentre pas dans
une trajectoire académique habituelle : il y a les « bourses CIFRE » et les autres. Je pense qu’il faut
faire de ces financements non pas simplement un financement professionnalisant ou un
financement de secteur, mais un financement lié à des interrogations profondes de la société – les
crises sociales, environnementales, ou des crises politiques. Ces financements doivent pouvoir
favoriser une dissémination dans les deux sens : que nous puissions nous emparer de
questionnements issus de la société civile, et qu’il y ait un questionnement politique, même si c’est à
la lecture de la politique publique ou de la sociologie. Je pense que cette demande vient aussi des
chercheurs.
Mon deuxième point concerne la co-construction des programmes de recherche. Ce qui me manque
parfois, en tant que directrice de laboratoire, c’est de pouvoir identifier des interlocuteurs par
rapport à des thématiques transversales qui sont liées à des thématiques de recherche et à des
thématiques sociétales. Quant à la phase de co-construction proprement dite, je pense que nous
avons les outils théoriques, mais qu’en face, d’autres formes de recherches et d’appels à projets
doivent s’organiser.
Pour terminer, je relève qu’un nombre grandissant de chaires cofinancées intègrent des réseaux
d’acteurs comme les collectivités territoriales ou le mouvement associatif, sur des questions
notamment de santé publique, de handicap, de jeunesse ou d’environnement. Et je pense que ces
co-constructions auront toute leur place sur les questions sociétales de fond telles que les crises
sociales contemporaines.
Alain Kaufmann – Université de Lausanne
Je dirige une unité de recherche-action collaborative et participative, issue d’une vingtaine d’années
de travaux, de développements, qui ont amené l’Université de Lausanne à faire de ces questions une
priorité depuis une quinzaine d’années.
La plupart des projets que nous avons pu réaliser ces dernières années sont liés à des financements
soit de notre propre établissement, soit de partenaires industriels, soit de fondations privées. Je
donnerais trois exemples de projets, pour en montrer la diversité.
- Un projet participatif sur la normalisation internationale de type ISO. Mis en œuvre avec 10 ONG
et syndicats, ce projet nous a amenés à négocier, au nom de la Suisse, la norme sur la toxicité des
nanoparticules et celle sur le tourisme écologique.
- Un projet sur les caméras-piétons embarquées sur les policiers en intervention. Ce projet réalisé
avec la Ville de Lausanne concerne le sujet très sensible de la traçabilité des interventions
policières.
- Un projet sur la co-définition des objectifs de la santé dépersonnalisée, mené en interaction entre
un collectif d’une trentaine de patients co-chercheurs, des chercheurs spécialisés et des cliniciens.
Cette volonté de développer la recherche collaborative et participative met en lumière une tension
entre l’ancrage territorial des universités, leur agilité territoriale, et leur course en avant dans la
compétitivité internationale. Développer des lignes de financement adéquates pour les chercheurs
et les universités ne suffira pas à résoudre cette tension : il faut aussi créer des observatoires de la
demande sociale. Cela nous renvoie à la question des temporalités, c’est-à-dire de la montée en
capacité des acteurs impliqués dans la recherche, indispensable pour permettre ensuite un
développement de ces recherches. Or, en Suisse, le programme pour la science ouverte ne
mentionne pas la nécessité de l’intermédiation pour faire en sorte que les données ouvertes soient
utilisées par des jeunes. Cela montre bien un certain nombre d’impensés.
A mon sens, cette question de la recherche ouverte ou de la recherche participative et collaborative
est, à long terme, la condition de survie d’un certain nombre d’universités ancrées sur leur territoire,
qui ne sont pas toutes inscrites dans une compétition internationale cherchant à rivaliser avec
Harvard ou Stanford. Si elles ne manifestent pas cette volonté avec des dispositifs innovants, elles
risquent, au vu des tensions, des besoins, des urgences sociales et environnementales, de se
retrouver à la remorque de certaines innovations de collectifs sociaux déjà impliqués dans de la
recherche. Si nos institutions se gargarisent beaucoup avec la notion d’innovation, les innovations
véritables pourraient être accaparées par le tiers secteur de la recherche.
SYNTHESE
Yannick Kerlogot – Député
Je retiens plusieurs éléments :
- Un besoin de visibilité à plus long terme, peut-être sur une décennie, en termes de moyens
accordés.
- Le passage d’une recherche disciplinaire à une recherche autour des enjeux de société, qui rend
d’autant plus légitime la recherche collaborative.
- La crise de crédibilité de l’expertise universitaire, qui exige d’ouvrir encore et toujours les murs de
l’université et d’améliorer la construction de la co-recherche.
- L’absence d’antinomie entre les grandes universités et le tiers secteur de la recherche.
- La question de l’identification des acteurs pertinents.
- Le fait de favoriser la montée en compétence des acteurs du tiers secteur de la recherche.
- La nécessité de veiller à ne pas hyper-spécialiser les thématiques du tiers secteur de la recherche.
Table ronde n° 2 - POINT DE VUE DU TIERS SECTEUR DE LA RECHERCHE
CONTRIBUTIONS
Rachid Cherfaoui – Institut Godin
L’Institut Godin est un organe de recherche autour de la question économique des pratiques
solidaires dans l’économie, de l’innovation sociale, etc. Mais je vais plutôt prendre ma casquette
d’entrepreneur pour faire suite à ce qui a été dit.
Je suis assez représentatif d’un certain nombre d’acteurs économiques sur les territoires, qui ont
investi par exemple les pôles territoriaux de coopération économique (PTCE) pour porter des
solutions concrètes face aux grands enjeux de la société. Depuis l’émergence des PTCE en 2012-
2013, on s’est rendu compte que nous, acteurs, entrepreneurs, associatifs, avions besoin d’investir
dans la recherche. Petit à petit, on a été amenés à traiter les questions comme le patrimoine, le
commun, les capabilités, la gouvernance. Ces questions sont éminemment problématiques, mais
sont probablement aussi des leviers et des outils pour accompagner la transition écologique et
solidaire. Nous avons apporté à nos territoires de nouvelles solutions sociales, de nouvelles
entreprises, de nouveaux services, mais nous avons du mal à avancer en matière de connaissances
sur ces points-là en particulier. C’est pourquoi nous avons noué des liens avec des laboratoires
d’économie, de science politique, de sociologie. Il est d’ailleurs à noter que très peu de PTCE ou de
tiers-lieux sont actuellement financés pour leurs travaux de recherche, alors même que ces travaux
peuvent faire l’objet de publications scientifiques ou de thèses.
En premier lieu, nous sommes dans un temps de l’histoire où il est nécessaire d’investir dans de
nouvelles méthodes et connaissances, pour faire émerger des solutions qui accompagneront les
transitions écologiques et solidaires des territoires. Les acteurs ont aujourd’hui une grande
appétence pour cela et sont prêts à investir. Dans ce temps de l’histoire, il est nécessaire que la LPPR
envisage cette hypothèse.
A ce titre, nous faisons des propositions de trois grandes natures :
- Travailler à des programmes structurants grâce à la perspective de moyen terme (financement
sur cinq ans) ouverte par la LPPR.
- Travailler en interministérialité : c’est une évidence pour les acteurs du territoire, étant donné la
multiplicité des problématiques qu’ils abordent (circuits courts, déchets, etc.).
- Travailler le lien avec les Régions, qui sont en train d’écrire leur Document unique de
programmation.
En second lieu, il faut apporter des moyens ad hoc aux nouvelles configurations d’espaces de
recherche que j’évoquais précédemment. Il a été fait allusion à des CIFRE qui pourraient être
orientés, à des modes de financement différents... Il faut comprendre que la plupart de ces
recherches ne produisent pas des innovations bankable sur le marché, aussi le rapport à
l’investissement, aux investisseurs, au retour sur investissement, est-il problématique. Il faudra donc
travailler vraiment finement des outils adaptés, et peut-être y faire référence dans la LPPR.
En troisième lieu, pour entrer dans le concret, la LPPR pourrait acter l’idée de créer des espaces de
médiation entre la recherche, les chercheurs, où l’on pourrait faire converger les intérêts des uns et
des autres.
Mélanie Marcel – SoScience
SoScience est une entreprise sociale spécialisée en recherche et innovation responsables.
Les outils dont nous avons besoin et qui ont été évoqués ici existent et sont efficaces. La loi est une
occasion unique de les faire passer d’une échelle locale à une échelle nationale.
Deux chiffres mettent en lumière nos priorités actuelles :
- Moins de 1 % de la recherche mondiale se fait sous la forme d’une collaboration entre les
scientifiques et la société civile non-marchande.
- En France, 56 % des fonds pour la recherche sont dépensés par les entreprises privées.
Les attendus actuels de notre système de recherche scientifique sont clairs : favoriser l’innovation
pour générer de nouveaux produits, de la croissance économique et de l’emploi. Ces objectifs ne
peuvent pas être l’unique boussole de nos politiques publiques. La situation sociale et
environnementale doit prendre toute sa place dans la programmation et l’économie politique de la
recherche.
Les acteurs de la société civile ont beaucoup à apporter pour atteindre ces objectifs, pour peu que
les outils appropriés soient mis en place. Nous travaillons avec les trois acteurs clés : les instituts de
recherche publics, les entreprises industrielles et les acteurs de la société civile non-marchande ou
de l’économie sociale et solidaire. Nous avons développé des dispositifs :
- faciles à mettre en œuvre et pouvant être repris et diffusés ;
- permettant aux chercheurs d’identifier les bons acteurs de la société civile, et inversement ;
- permettant aussi de financer les collaborations.
Il s’agit de programmes complets d’open innovation, avec définition et mise en place d’un appel à
participation, temps dédiés pour permettre aux divers acteurs de monter des consortiums de
recherches collaboratives, et financements aux projets sortants qui prennent en compte les
préoccupations citoyennes mais aussi les acteurs citoyens. Pour 1 euro investi dans le dispositif, 10 à
100 euros sont investis dans des projets de recherche. Plus de 30 % des participants ne sont ni des
chercheurs, ni des industriels. Les chercheurs et les acteurs sociaux plébiscitent nos dispositifs, et les
acteurs industriels sont prêts à co-investir. Le dernier programme mis en œuvre, en collaboration
avec l’entreprise Perrier, a pour but de réinventer la bouteille en plastique.
Nous avons fait la preuve qu’un dispositif qui, d’une part est intentionnellement dirigé vers le bien
commun, et d’autre part crée de façon systématique des collaborations entre les différents acteurs,
fonctionne, est efficace, répond aux enjeux contemporains, et pourrait non seulement favoriser une
redistribution mais aussi représenter une nouvelle source de financement pour la recherche.
Nous pouvons déployer ces outils et y former les acteurs pertinents qui le souhaiteraient. Cet
élargissement de la mission fait partie de la note de positionnement que SoScience a produit sur la
LPPR.
Les parlementaires ont la possibilité de faire que les enjeux sociaux et environnementaux soient pris
en charge par la loi : il ne faudrait surtout pas en faire un enrobage, une intention, un vœu pieu. Pour
ce faire, il faut élargir les dispositifs, outils et expérimentations qui existent déjà.
Anne Jacquelin – La Fabrique des Territoires Innovants
La Fabrique des Territoires Innovants a pour mission l’accompagnement de projets collaboratifs
visant à transformer les territoires (projets, produits, services, entreprises). Elle aide en particulier
les parties prenantes à lever les difficultés qui émergent dès lors que l’on travaille avec des
personnes qui n’ont ni le même métier, ni le même emploi, ni la même expérience, ni les mêmes
valeurs. En tant que société coopérative d’intérêt collectif (SCIC), elle appartient au secteur de
l’économie sociale et solidaire, et implique ses différentes parties prenantes – clients, prestataires,
salariés, partenaires – dans sa gouvernance.
Nous réalisons un travail d’ingénierie de la collaboration qui comporte deux aspects : comprendre et
outiller les ressorts du développement économique et social endogène en France, et comprendre et
outiller les ressorts de collaborations optimales. Pour cela, nous produisons notre travail sous forme
d’un process de R&D, suivant les différentes étapes répertoriées Technology readyness level :
- Contribuer à instruire et alimenter les travaux de recherche.
- Identifier des problématiques à traiter.
- Tester des pistes de solutions.
- Développer les pistes prometteuses pour leur trouver un marché.
Nous sommes donc le tiers secteur de la recherche.
Notre hypothèse, qui va bientôt se traduire en résultats chiffrés, est qu’un développement
économique et social peut garantir sa pérennité à condition de répondre à un besoin social, que ce
besoin soit attaché à un territoire donné, que les acteurs de ce territoire s’unissent pour contribuer à
des solutions, et que la dynamique d’essai-erreurs soit reconnue comme un travail de recherche.
Ce travail de recherche me permet d’amener à cette assemblée deux problématiques.
En premier lieu, il s’agit d’admettre la place de la R&D dans le développement économique et social
local à travers l’accompagnement des élus locaux. La loi NOTRe (Nouvelle organisation territoriale
de la République) a eu pour effet de transférer le pilotage des projets vers le haut, rendant plus
complexe la place des acteurs de terrain et portant préjudice à leur compréhension et leur analyse
de leurs besoins et enjeux. Pour nous, il est essentiel de doter les équipes locales de ressources
permettant d’identifier leurs besoins de développement économique et social, en les accompagnant
sur le travail de diagnostic et sur le pointage des solutions, notamment via des budgets de recherche.
Elles doivent être soutenues en termes de posture quant à leur rôle dans ce type de projet, mais
aussi en termes techniques (maîtrise budgétaire et contractuelle, propriété intellectuelle) pour être
en maîtrise face à des acteurs économiques souvent plus agiles.
En second lieu, il est nécessaire de repenser les modalités de financement, de légitimation et de
valorisation de la recherche. Ceux-ci sont souvent nationaux, sur des sujets descendants et non
adaptés aux temporalités et aux subtilités locales. La LPPR doit prendre le revers de cela en
permettant à nos projets de recherche de se déployer sur les territoires, auprès de tous les acteurs, y
compris les élus locaux que vous aurez outillés. Ils alimenteraient un Fonds national pour la
recherche territoriale permettant à la recherche de :
- Déployer facilement des terrains de recherche.
- Répondre à des besoins concrets des territoires.
- Faire avancer nos analyses par des bases comparatives de nos hypothèses sur des terrains divers,
permettant de complexifier notre compréhension des différents paramètres autour d’un objet.
- Donner des retours d’applications réguliers aux travaux de recherche fondamentale menés dans
les laboratoires.
Romain Troublé – Tara Expéditions
La Fondation Tara Océan, reconnue d’utilité publique, a une double mission d’exploration et
recherche en mer, et de partage des connaissances. Elle travaille depuis une douzaine d’années avec
le CNRS, le CEA, la Sorbonne, l’Ifremer, et 30 à 40 universités françaises et internationales.
Cherchant à impliquer le monde économique français dans la recherche fondamentale, elle est
financée à 90 % par des entreprises privées et à 10 % par l’Etat et des collectivités territoriales.
Nous contribuons de trois façons à la promotion de la recherche.
- Au plan de l’organisation de la recherche, nous nous inscrivons dans l’agenda 2030 et les ODD. En
matière d’écologie, faire travailler ensemble et dans la durée une quinzaine de disciplines est
complexe. Nous y arrivons à travers la co-formulation de projets de recherche, l’innovation
méthodologique, la multidisciplinarité, le transfert technologique entre les disciplines.
- En matière de partage et d’éducation, nous cherchons à donner envie, à faire rêver, en faisant
entendre la parole des scientifiques auprès du grand public. L’enjeu est de raconter des histoires
autour de la recherche, de l’innovation, du progrès, d’un futur enviable. Parler de la recherche est
une façon de dire qu’il reste beaucoup de choses à découvrir, que tout est devant nous. Cela
donne envie aux jeunes générations de s’intéresser à ces cursus.
- Au plan politique, nous participons à la valorisation de la recherche française à l’échelle mondiale.
A ce titre, Tara Expéditions a reçu en 2015 le Prix du rayonnement environnemental, décerné
dans le cadre du Grand prix du rayonnement français.
Par rapport à la LPPR, nous voyons plusieurs enjeux :
- Avoir dans la loi des arguments explicitant l’importance du tiers secteur et du soutien à celui-ci.
- Imaginer une façon de favoriser la reconnaissance (via un label, par exemple) et l’acceptation du
tiers secteur de la recherche par le monde scientifique, qui le considère parfois comme un
concurrent.
- Avoir des financements pérennes, aujourd’hui inexistants.
L’implication du tiers secteur peut aider la recherche à se mettre au tempo d’une société qui bouge
très vite, « shifte » très vite, pivote très vite.
Claude Tran – Inversons la classe !
Le collectif enseignant Inversons la classe ! est né en France en 2014 à l’initiative d’une docteure en
neurobiologie, afin de lutter contre les inégalités et le décrochage scolaire. Il soutient le
développement et la mise en œuvre de pratiques pédagogiques innovantes centrées sur
l’apprenant, et favorisant la motivation et la réussite de chacun dans toutes les disciplines et à tous
les niveaux d’apprentissage. Ces pratiques reposent sur l’idée des classes inversées : il s’agit de
privilégier dans le temps de présence du professeur la mise en activités des apprenants sur des
activités complexes ou à forte valeur cognitive, et d’investir le temps hors-classe avec des activités
simples de E-learning. De cette façon, la posture de l’enseignant passe du face à face au côte à côte,
l’espace-temps d’apprentissage s’élargit, les ressources se diversifient, l’organisation spatiale de la
classe se flexibilise, la forme scolaire change pour redonner du sens à la mission de l’enseignant.
Le succès a été immédiat. Depuis 2015, un congrès annuel, le CLIC, construit comme un congrès
scientifique, a permis la formation de 20 000 enseignants. Dès le début, l’association s’est aussi fixé
pour objectif d’impulser, accompagner, réaliser des recherches universitaires et scientifiques sur ces
pratiques pédagogiques. Les études disponibles à l’international sur les classes inversées
démontrent en effet leur impact positif sur l’implication et la réussite des apprenants, en particulier
les plus en difficulté, mais elles révèlent aussi le besoin, en France, d’études supplémentaires sur le
primaire et le secondaire. C’est la raison pour laquelle notre association a été motrice pour lancer
des recherches universitaires sur le sujet, notamment avec le laboratoire Cirel de Lille et le réseau
Reseida.
Mais nous sommes aussi confrontés à la grande difficulté de développer des recherches sur le sujet.
Nous avons souvent sollicité des chercheurs intéressés, mais les laboratoires nous disent manquer
de moyens pour les développer. Le tiers secteur associatif, riche de sa diversité et de sa créativité,
constitue un contributeur potentiel pour alimenter la recherche, mais il manque également de
moyens ainsi que d’outils réglementaires pour, par exemple, accueillir ou faciliter les travaux de
doctorants dans le cadre du dispositif CIFRE.
Nous proposons donc à la réflexion de ce colloque de développer la mise en œuvre des CIFRE et le
recrutement de jeunes doctorants par des associations du secteur scolaire et universitaire. Les
textes n’excluent pas le conventionnement avec des associations, mais il est nécessaire d’en garantir
la faisabilité sur le plan tant financier que de son fonctionnement. En effet, le différentiel entre le
coût salarial du chercheur et la subvention excède largement les possibilités financières et en
ressources humaines d’associations de bénévoles. Un dispositif adapté à ce type d’association doit
être mis en œuvre. L’appel à projets eFran a permis des partenariats efficients entre des laboratoires
de recherche, des entreprises et des établissements sur des thèmes porteurs d’innovation. De telles
initiatives ouvertes aux associations nous semblent adaptées à la participation du tiers secteur de la
recherche en éducation.
Manon Réguer-Petit – Agence Phare
Mon parcours professionnel est caractérisé par la recherche académique puis par la recherche
appliquée. Je suis aujourd’hui directrice scientifique de l’agence Phare, une agence de recherche
appliquée en sciences sociales qui produit des études sociologiques, des évaluations de politiques
publiques ou des évaluations d’impact social à destination des décideurs publics (ministères,
collectivités locales, services déconcentrés de l’Etat) et des acteurs associatifs.
Notre prise de parole vise à défendre deux idées permettant d’améliorer les coopérations entre les
acteurs du tiers secteur de la recherche engagés dans la recherche appliquée, et les établissements
publics d’enseignement supérieur et de recherche.
La première idée serait que la LPPR évite l’écueil de la mise en concurrence entre ces deux grandes
catégories d’acteurs, pour au contraire acter et valoriser leur complémentarité. La recherche
appliquée a vocation à répondre à un besoin de connaissance dans le temps relativement court pour
prendre des décisions. En contraste, la recherche fondamentale doit bénéficier d’un calendrier plus
long pour adresser des questions de recherche ne répondant pas à un agenda politique ou
stratégique. Ces deux cas de production de connaissances sont de natures différentes, mais
complémentaires. Cette complémentarité suppose de proposer d’un côté des appels à projets de
recherche appliquée (temps plus court, réponse à une besoin ou à une question des décideurs), et de
l’autre des modes de financement publics de la recherche fondamentale (temps plus long, réponse à
une question de recherche).
La deuxième idée serait que la LPPR favorise les collaborations effectives entre le tiers secteur de la
recherche et le monde académique. Le tiers secteur de la recherche a en effet besoin de s’appuyer
sur la recherche fondamentale pour répondre aux questions des décideurs de façon rigoureuse.
- Il s’agit en premier lieu d’inciter les travaux de recherche appliquée réalisés par des équipes du
tiers secteur de la recherche mais mobilisant, dans des comités scientifiques, des membres de
l’enseignement supérieur et de la recherche. Nous évaluons actuellement un programme
d’accompagnement au sevrage tabagique de jeunes vulnérables, et mobilisons dans ce cadre des
experts universitaires et des chercheurs du CNRS, afin de garantir la rigueur de nos résultats mais
aussi d’être nourris par les travaux académiques et de les nourrir en retour. Mais ce type de
collaboration reste relativement rare.
- Il s’agit ensuite de faciliter la mise en place d’équipes mixtes enseignement supérieur et
recherche / tiers secteur de la recherche sur des appels à projets thématiques spécifiques pouvant
simultanément faire l’objet d’un traitement de recherche fondamentale et de recherche
appliquée, de façon à favoriser le dialogue en continu entre ces deux instances de la recherche.
Nous développons des alliances avec des laboratoires de recherche dans le cadre de réponses à
des ANR, mais les coopérations de ce type sont encore peu reconnues et restent difficiles à
mettre en place.
- Il s’agit enfin d’ouvrir des espaces de dialogue entre les chercheurs, les acteurs de la société civile
qui produisent de la connaissance, et les décideurs. Nous avons par exemple mené une étude sur
le phénomène des mules et sur les déterminants sociaux de l’entrée des jeunes guyanais dans le
trafic de cocaïne, en mobilisant les travaux et outils de sciences sociales, rompant ainsi avec les
prénotions partagées par les décideurs et les acteurs de terrain. La diffusion des concepts de
sciences sociales a constitué un élément essentiel de compréhension du phénomène des mules
et de lutte contre celui-ci.
Nous avons entendu beaucoup de choses sur le tiers secteur de la recherche. Il est nécessaire de
définir ce dernier sans l’uniformiser a priori, car ses acteurs font l’objet de définitions variables et
plurielles.
Sandrine Dupé – IREPS Bretagne (Instance régionale d’éducation et de promotion de la santé)
L’IREPS Bretagne est une association ayant pour objectif la réduction des inégalités sociales de
santé. Elle se focalise sur les publics les plus vulnérables, tels que les personnes en situation de
précarité ou de handicap.
Considérant que la santé est influencée par des facteurs très divers (qualité du logement, accès aux
droits sociaux et à l’éducation, capacité à réguler son stress...), nous formons, accompagnons et
soutenons les professionnels de la santé, du social, de l’éducation, les collectivités territoriales et les
élus.
Au sein de l’association, je travaille sur une dynamique de rapprochement avec le monde de la
recherche amorcée il y a quelques années. Notre orientation nous a naturellement conduits à
multiplier les relations avec le monde de la recherche académique. Avec nos documentalistes, nous
sélectionnons, synthétisons, diffusons des données issues de la recherche. Nous confrontons ensuite
ces données à notre expérience et à la pratique, pour élaborer des savoirs situés et permettre aux
acteurs de se les approprier. Enfin, nous jouons un rôle de sentinelle pour repérer les problématiques
de recherche émergeant du terrain, puis d’incubateur, en stabilisant ces problématiques et en
mobilisant une communauté de recherche-action autour de projets. Ces dix dernières années, nous
avons participé à trois projets de recherche-action.
Nous constatons cependant, et cela au niveau national, que la collaboration avec le monde de la
recherche académique tel qu’il est organisé aujourd’hui, situe de facto nos relations de partenariat
sur un plan d’asymétrie que nous ne rencontrons pas sur nos autres partenariats.
Nous soulignons trois points en particulier :
- Le travail d’incubation d’un projet de recherche est long, nécessite des compétences spécifiques,
mais il n’est pas ou est mal reconnu, en termes notamment de financements. J’ai, par exemple,
été sollicitée par une structure qui cherchait à comprendre ce que signifiait – en termes à la fois
philosophiques mais aussi pratiques – l’autodétermination des personnes en situation de
handicap. Pour faire émerger un tel projet de recherche, il faut aligner les préoccupations de
l’équipe qui me sollicite, celles d’une équipe de recherche, mais aussi les cadrages des appels à
projets. Cela requiert un énorme travail en amont.
- Un appel à projet finance en général du temps de travail pour la recherche académique en tant
que telle, mais pas ou peu de temps de travail pour la restitution et la traduction des
connaissances qui en sont issues. Pourtant, ce travail de traduction est le cœur de notre mission.
- Rester impliqué tout au long du projet implique de trouver d’autres sources de financement que
l’appel à projets de recherche. Il en résulte pour nous, associations, un surinvestissement en
amont du projet, au cours de celui-ci, puis en aval, qui n’est ni reconnu, ni balisé, ni accompagné
par les institutions, et qui reste difficilement financé.
Nos missions et nos activités nous situent dans une zone grise, à l’intersection entre la formation, la
recherche et l’action de santé publique. Notre reconnaissance en tant qu’acteur à part entière du
tiers secteur de la recherche, ainsi que la reconnaissance du tiers secteur de la recherche dans la
LPPR, sont indispensables à l’amélioration des pratiques et des décisions en faveur de la réduction
des inégalités sociales de santé.
Matei Ghiorghiu – Réseau français des FabLabs
Je suis Matei Gheorghiu, enseignant chercheur à l’université de Caen, également chargé de recherche dans
une TPE bureau d’études, et en même temps coordinateur du Conseil scientifique du Réseau français des
Fablabs. Autrement dit, j’ai un pied dans les trois secteurs dont nous discutons aujourd’hui.
Je parle ici au nom du Réseau français des Fablabs : notre association représente aujourd’hui plus de 150 lieux
d’innovation technique mais aussi sociale en réseau. On y produit des prototypes, on y pratique des essais
techniques, on y invente de nouveaux objets qui répondent aux besoins situés des membres de l’écosystème.
On y invente aussi de nouvelles manières d’apprendre, de produire et plus largement de travailler, dans la
mesure où ces lieux (souvent intégrés dans des tiers-lieux) sont ouverts à tous, accueillent des publics de tous
âges, conditions sociales et origines géographiques, qui se rencontrent et construisent de nouvelles manières
de faire ensemble.
Ces lieux sont donc non seulement des ateliers de fabrication locale, ce sont aussi des lieux de
professionnalisation et de reconversion professionnelle, de socialisation favorisant la résilience de l’ensemble
du tissu social, enfin, grâce à leur organisation en réseau, des caisses de résonance rendant visibles les projets
et les talents locaux à une plus grande échelle et permettant inversement de bénéficier de la solidarité, des
connaissances et des compétences du réseau situées à des endroits éloignés lorsque le besoin s’en présente.
Cette particularité n’a pas échappé au monde universitaire, qui s’intéresse de plus en plus à nos activités,
comme en témoignent les nombreux questionnaires et demandes d’enquêtes que nous pouvons
régulièrement recevoir. Nous proposons donc, plutôt que d’être pris pour des simples objets de recherche, de
nouer de partenariats pour élaborer ensemble les méthodes adaptées à l’étude de ces phénomènes émergents.
Un des modes possibles de financement du fonctionnement de ces lieux est de permettre aux chercheurs qui
s’y investissent de comptabiliser ce temps d’animation comme un temps de recherche-action (dont le
caractère public sera garanti par l’exigence de documentation open source qui règne dans ces espaces).
Aujourd’hui, après plus de 10 ans d’existence, le réseau a besoin et revendique plusieurs choses :
Tout d’abord, la reconnaissance du travail réalisé, des services rendus à la collectivité et du capital social,
technique, épistémique et culturel ainsi accumulé : les accomplissements sont nombreux, à la hauteur des
investissements personnels réalisés, et il suffit d’un petit effort de structuration supplémentaire pour que leurs
bienfaits puissent profiter au plus grand nombre.
En second lieu, nous attirons l’attention des représentants des institutions publiques et privées et plus
largement des financeurs potentiels sur un principe capital : les bénéfices que la société tire de l’existence de
ces lieux en réseau ne se mesurent pas, dans l’immédiat, selon les principes marchands classiques.
L’écosystème n’a pas atteint un niveau de structuration suffisant pour qu’on puisse le penser comme un
marché. La plupart des expériences qui ont basé leur mode de fonctionnement sur un modèle marchand ont
d’ailleurs déposé le bilan.
Par ailleurs, la mise en concurrence par le biais d’appels d’offres contrevient au principe de fonctionnement de
ces lieux, en open source et en réseau : ces lieux ne doivent pas être mis en concurrence mais en « coopétition »,
plutôt sur le modèle des clubs sportifs que des entreprises dont l’objectif serait de croître en avalant ou en
filialisant les concurrents. Les Fablabs doivent mailler tout le territoire, et éviter une organisation en filiales qui
ferait courir le risque d’une standardisation et d’une perte du potentiel innovant de ces lieux.
Il faut bien entendu rationaliser les dépenses et ne pas construire sur du sable, mais avec une véritable vision à
long terme de ce que ces espaces représentent comme perspectives sociales et économiques. Un maillage fin
du territoire par des espaces de fabrication numérique permet à moyen terme de relocaliser partiellement la
production, de revaloriser les compétences techniques et le travail manuel et de garantir la formation des
nouvelles générations en ces matières, de favoriser le développement de circuits courts, etc.
Pour réaliser ces objectifs, il faut favoriser le financement des ressources humaines plutôt que celui des
machines, les premières pouvant créer les secondes et pas l’inverse. Différentes solutions existent et font
l’objet de propositions dans les documents édités par notre association, ou de discussions avec les institutions
avec lesquelles nous interagissons.
Il est possible aussi de s’appuyer sur des expériences innovantes comme ce qui a été fait par le RFFLabs en
partenariat avec le CNES, l’initiative « Open Space Makers », permettant de coordonner et de rendre visibles
les initiatives isolées, parfois dispersées sur le territoire, de nombreux talents investis dans la recherche
spatiale amateure ou semi-professionnelle.
DISCUTANTS
Jean-Benoît Dujol – Direction de la Jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative (Djepva)
La Djepva est une instance interministérielle (Jeunesse et Sports, Education nationale) en charge de
la vie associative.
Nous avons mis en place, avec le secrétaire d’Etat Gabriel Attal, une nouvelle stratégie pour la vie
associative qui comprend une vingtaine de mesures, parmi lesquelles une mesure destinée à
favoriser les liens entre les associations et le monde de la recherche. La mise en œuvre de cette
mesure s’appuie sur le Fonjep, un outil dédié au développement des projets associatifs de jeunesse
et d’éducation populaire, mais elle vise à aller toucher l’ensemble des secteurs associatifs. L’idée
centrale est d’appuyer la mise en place de partenariats entre les associations et le monde de la
recherche, par le soutien au recrutement d’emplois qualifiés au sein des associations. Trois axes ont
été définis :
- Une transformation des associations et de leurs stratégies d’alliances entre elles, en faveur de la
recherche.
- Le partenariat des associations avec des organismes de recherche publique.
- Le développement de la recherche dans les associations, en les aidant à construire le
questionnement qui permet de passer d’un problème identifié à une véritable question de
recherche.
Inspirés par le Livre blanc publié par Alliss en 2017, nous avons lancé en 2019 un petit appel à projets
expérimental autour des liens tiers secteur / recherche, au profit d’une dizaine de projets associatifs
dans le domaine de la jeunesse et de l’éducation populaire, avec une enveloppe de 3 millions d’euros
sur 3 ans. En dépit d’un calendrier très serré et d’un secteur assez limité, nous avons senti un appétit,
une envie de faire. Les dossiers que nous avons reçus témoignaient d’une grande qualité. Nous
souhaitons rééditer cet appel à projets en l’ouvrant à d’autres secteurs associatifs et en augmentant
l’enveloppe budgétaire, afin d’accueillir une vingtaine de dossiers. C’est une contribution modeste
mais, nous l’espérons, utile, et l’on ne peut que souhaiter que d’autres départements ministériels se
joignent à notre initiative.
Je voudrais rebondir sur un dernier point. Il a été question du crédit d’impôts recherche (CIR). Celui-
ci, aujourd’hui, n’est pas accessible aux associations à but non-lucratif. Nous devrions peut-être
chercher à créer un équivalent du CIR au bénéfice des dépenses de recherche de ces associations.
Noémie de Grenier – Coopaname
Je suis codirectrice de Coopaname, une CAE (coopérative d’activités et d’emplois) regroupant des
personnes qui développent des activités autonomes et viennent se salarier dans la même
coopérative. Je suis également associée de la Manufacture coopérative, une coopérative de
recherche-action, et l’une des instigatrices du projet Bigre!, un groupement inter-coopératif qui se
pose des questions autour de la recherche et de l’innovation.
Au-delà de la mise en œuvre de nouvelles formes de travail, Coopaname est réellement dans une
dynamique de recherche et d’innovation. Le monde du travail se transforme et nous avons besoin de
nouvelles formes, de nouveaux cadres, de nouvelles manières de travailler ensemble, d’être
solidaires, de bénéficier d’une bonne protection sociale, tout en sortant des cadres du salariat tel
qu’il a été vécu jusqu’ici.
Quinze ans après sa naissance, cette expérimentation reste quelque chose de très vivant, en
mouvement, qui se nourrit d’une dynamique de recherche constante, en lien profond avec le fait
d’être dans une forme de production de savoirs : d’une part, certains d’entre nous sont chercheurs,
d’autre part nous travaillons avec des acteurs de la recherche publique afin de produire de la
connaissance à partir de notre expérience. Cela permet d’avoir un éclairage plus large sur les enjeux
liés aux mutations du monde travail et de l’emploi. Nous nous situons aussi dans une perspective
d’appropriation des enjeux et de co-construction – pas seulement de questions, mais aussi d’objets,
de méthodes, de façons de faire ensemble.
Cet après-midi, j’ai été frappée par une forme de confusion entre deux démarches aussi nécessaires
l’une que l’autre, mais différentes : d’un côté, l’adaptation de la recherche publique à la société telle
qu’elle est aujourd’hui, et de l’autre la structuration d’un tiers secteur de la recherche. C’est en
faisant les deux en parallèle que l’on pourra faire émerger de nouveaux modes de recherche.
L’intégration d’un tiers secteur de la recherche dans la loi est évidemment nécessaire, mais elle ne
sera pas suffisante pour aboutir à cette structuration. Il faut aussi penser les manières dont on
traduit les dispositifs dans la réalité, en tenant compte de la diversité de ce tiers secteur. A ce titre,
en tant que coopérative, nous attirons l’attention sur l’importance de ne pas cantonner les
dispositifs à des statuts particuliers, comme c’est le cas pour les postes Fonjep recherche qui
s’adressent aux seules associations. Il faudra donc veiller, dès que les orientations seront décidées, à
associer les acteurs aux questions de mise en œuvre.
Haud Le Guen – RÉSO solidaire
Les acteurs de l'économie sociale et solidaire (ESS) représentent 15 % de l’économie, sous la forme
d’associations, de mutuelles, de fondations, mais également d’entreprises commerciales
(coopératives, entreprises d’utilité sociale, entreprises à mission). RÉSO solidaire est le pôle de
développement de ESS du Pays de Rennes. L’association fait partie de l’écosystème de
l’accompagnement de l’ESS en Bretagne, aux côtés de la Chambre régionale de l’économie sociale
et solidaire et des TAg (Territoires Agiles), qui sont des incubateurs, propulseurs, idéateurs sur nos
territoires.
Les enjeux pour nous sont de favoriser l’emploi durable local et non-délocalisable, l’intérêt général
et la préservation des ressources. Pour cela, la coopération avec la recherche est évidente et
importante. Récemment, 350 acteurs de l’ESS du territoire ont formulé leurs attentes vis-à-vis de la
recherche : progresser et évoluer dans leurs pratiques, mieux communiquer et rendre visibles leurs
effets et leurs résultats, travailler sur les modèles, les méthodes d’accompagnement et l’analyse des
expériences. Mais s’il y a un vrai souhait, un vrai besoin, de nombreux acteurs n’ont ni une culture de
la recherche, ni les financements nécessaires. Il y a des enjeux sur la définition, l’émergence et
l’amorçage de ces travaux de recherche.
J’ai entendu d’autres besoins :
- En recherche et développement appliquée : sur une dimension plutôt de développement et de
coopération économique.
- En ingénierie extérieure : pour favoriser le travailler ensemble, dans le cadre notamment des
projets de développement économique de coopération réunissant des collectivités, des
structures du tiers secteur, des laboratoires, des universités.
- En matière de coopération : pour éviter les mises en concurrence territoriales. Il s’agit aussi de
prendre en compte la double dimension recherche appliquée / recherche fondamentale.
- En termes de liens avec les collectivités territoriales : celles-ci sont déjà parties prenantes des
pôles territoriaux de coopération économique. Elles peuvent également s’adosser ou adosser des
politiques d’Etat ou de l’Europe.
Gabriel Plassat – La Fabrique des Mobilités (FabMob)
La Fabrique des Mobilités cherche à faire émerger au niveau européen une culture commune de
l’innovation dans le champ des transports et des mobilités, à la croisée des pratiques et des sciences.
Cela implique de rassembler tous les acteurs concernés (territoires, associations, usagers, écoles,
laboratoires, startups et industriels) afin de faire évoluer non pas uniquement les parties du système,
mais le système complet.
La FabMob fonde son action sur l’hypothèse que les communs et l'open source viennent apporter des
ressources utilisables par tous les acteurs, en particulier ceux qui n’avaient pas accès à ce matériel-là,
et qu’ils renforcent les liens entre des acteurs parfois en compétition, grâce à une communauté
d’intérêt. Il s'agit maintenant de revoir les modes de financement publics pour mieux soutenir les
communs et l'open source, au lieu de se focaliser sur les ressources propriétaires et fermées.
L’implication du tiers secteur de la recherche est essentielle dans nos démarches autour des
communs et de l'open source, afin notamment de pouvoir impliquer les territoires, les associations et
les citoyens / utilisateurs. Utilisables par tous, les communs permettent d’encapaciter de nombreux
acteurs souvent exclus des nouvelles technologies, de réduire les barrières à l’entrée, de créer des
objets-liens entre les acteurs.
Deux exemples :
- Un projet de caméra et réseau de neurones open source, porté avec Tetris Grasse, pour permettre
à de nombreux acteurs de comprendre les « réseaux de neurones » et de produire de nouvelles
données de connaissance sur le trafic.
- Un projet de véhicule électrique open source porté par l’Université de Rennes pour la formation,
l’éducation et la recherche.
Les propositions de la FabMob :
- Aider un maximum d’acteurs du tiers secteur à comprendre, utiliser, contribuer et produire de
l’open source.
- Intégrer dans les dispositifs de financement actuels, en France et en Europe, des mesures pour
mieux soutenir la production de ressources avec des licences ouvertes (taux d’aide supérieurs,
montant réservé pour le financement des ressources ouvertes...).
Geneviève Fontaine – Tetris (Transition écologique territoriale par la recherche et
l’innovation sociale)
La SCIC Tetris est un tiers-lieu situé en quartier prioritaire de la politique de la ville (QPPV), qui porte
un pôle territorial de coopération économique. Elle est reconnue « jeune entreprise universitaire » et
« jeune entreprise innovante ».
Tetris entretient un lien étroit avec la recherche. En premier lieu, la SCIC possède un collège de
chercheurs qui participe à sa gouvernance. Ensuite, elle construit un écosystème territorial de
recherche sur l’adaptation du territoire aux enjeux des ODD, et sur le dialogue entre la transition
numérique et la transition écologique et solidaire du territoire. Elle déploie dans ce cadre des
innovations autour de l’intelligence artificielle et de l’Internet des objets, avec une approche par les
communs. Tetris sert enfin de support à des communautés de recherche-action composées de
publics très éloignés de la recherche, qui travaillent sur des thématiques comme l’alimentation
durable ou les nouvelles formes d’organisation et de travail pour la transition écologique.
Quelques propositions :
- Reconnaître l’existence de nouveaux lieux (tiers-lieux, communs, etc.) dans lesquels se fait de la
recherche aujourd’hui. Ceux-ci sont à la fois relais, supports, vecteurs de cette université hors-les-
murs dont on a déjà parlé. Des cours de Master 2 se tiennent ainsi dans l’espace de Tetris,
permettant de bénéficier de son FabLab. De tels lieux ont aussi un rôle de repérage de signaux
faibles : ils apportent un regard décalé aux institutions (entreprises et organisations
universitaires) et permettent de formuler des questions de recherche qui viennent du territoire,
ou encore d’expérimenter des modes d’organisation autour des prototypes et des innovations
issues de ce mode de recherche, afin de vérifier leur cohérence avec les attentes de la société et
avec les ODD.
- Développer des initiatives comme le « woofing de la recherche » expérimenté par Tetris, qui
permet à de jeunes chercheurs de poursuivre leur parcours de recherche tout en contribuant à
l’animation du lieu. Mais il faut que ce parcours de recherche soit valorisé et reconnu derrière.
- Permettre aux laboratoires de rentrer au sociétariat des SCIC. Pour l’instant, les chercheurs ne
peuvent y rentrer qu’en leur nom propre.
- En finir avec les dispositifs qui éclatent les acteurs de l’économie sociale et solidaire. La SCIC
Tetris montre que les associations, coopératives et collectivités locales forment un écosystème. Il
ne faut pas recréer des silos que l’on essaye de faire exploser.
Yannick Blanc – La Fonda
La Fonda est le laboratoire d’idées du monde associatif.
Plus de vingt millions de Français participent au moins une fois par an à une action bénévole dans le
cadre associatif, et plus de douze millions le font régulièrement. Ces chiffres sont issus d’une
enquête menée en 2017 par Lionel Prouteau (Centre de recherche sur les associations à l’Université
de Nantes) pour la Fonda. Il nous a fallu un an et demi pour lever les 150 000 euros nécessaires à la
réalisation de cette enquête. La seule enquête analogue, réalisée en 2002, avait été entièrement
financée par l’Insee. S’agissant de la connaissance du fait associatif, nous sommes donc dans un
processus de régression plus que de progrès. Je plaide pour que le fait associatif soit un objet de
recherche auquel on consacre plus d’efforts.
A ce titre, la Fonda a joué un rôle actif dans la création de l’Institut français du monde associatif :
cette fondation dédiée au financement de la recherche sur le monde associatif a levé un peu plus de
100 000 euros de fonds privés en 2019. Il y a donc des choses qui bougent et qui méritent d’être
encouragées.
Par leur nombre, par leur présence dans l’ensemble de la société, par leur vitalité, les associations
peuvent être un acteur de la recherche. Elles sont un système de capteur humain sans égal sur les
réalités sociales, les attentes de la société, ses mutations et ses besoins. Ces acteurs, ces
observateurs, ces capteurs, ces innovateurs, ces expérimentateurs peuvent contribuer à fonder les
politiques publiques sur une connaissance précise, approfondie, de la société française. Pourtant, ils
ne sont aujourd’hui pas suffisamment mobilisés.
Les associations, leurs réseaux, leurs bénévoles et leurs professionnels sont souvent des
communautés apprenantes, des lieux où l’on fabrique de la connaissance, où l’on cherche à
comprendre, où l’on analyse les réalités sur lesquelles on agit. Cette capacité de production de
connaissances existe dans tout le pays mais elle est diffuse, fragmentée, peu structurée. S’appuyer
sur ce formidable appareil de production de connaissances pourrait être une ambition pour la
recherche – en sciences humaines et sociales, en droit, en économie, en management – afin
d’améliorer notre capacité à anticiper en matière de mutations sociales.
Héloïse Dufour – Cercle FSER
Je dirige le Cercle FSER, une association fondée par des directeurs de laboratoire dans le but de
rapprocher le monde de la recherche de la société. Je suis également vice-chair du réseau européen
EuroScitizen, qui regroupe des acteurs de 35 pays (chercheurs en sciences dures et en sciences
humaines et sociales, éducateurs, communicants de la science, journalistes...) afin de réfléchir et
résoudre ensemble des problématiques communes. Nous essayons par exemple de développer des
outils pour faciliter un meilleur enseignement de la biologie de l’évolution, en comparant ce qui se
fait dans les différents pays et en croisant les réflexions de biologistes de l’évolution, de chercheurs
en éducation, d’enseignants, d’éducateurs, etc. Ce réseau est soutenu par le programme européen
COST (Coopération européenne en science et technologie). Si nous sommes contents de bénéficier
d’un tel mécanisme facilitateur à l’échelle européenne, nous regrettons de ne pas retrouver
d’équivalent à l’échelle française.
Cet exemple me paraît important pour souligner l’importance du tiers secteur de la recherche dans
la mise en lien du monde de la recherche et d’autres secteurs qui n’ont pas les mêmes codes. Il ne
suffit pas de mettre des gens différents dans la même salle pour les faire travailler ensemble. Il faut
pouvoir bénéficier d’une compétence d’ingénierie sociale, à la fois pour faciliter ce travail et pour
identifier les parties prenantes pertinentes. Cette dimension est sous-estimée en France. On peut
trouver du financement pour du matériel, mais beaucoup moins pour les personnes qui permettent à
ces lieux de fonctionner. C’est toute cette ingénierie sociale qu’il me semble important de valoriser.
Pour finir, je veux insister sur l’importance d’inscrire une volonté politique dans cette LPPR.
L’inscription de la recherche dans la société est complètement absente des rapports qui ont été
publiés, ce qui est assez choquant. Enfin, il faut prévoir des outils de financement appropriés, dans la
mesure où les compétences et les expertises existent déjà en France aujourd’hui.
Benjamin Gentils – Tiers-lieux édu
Au cours des cinq dernières années, j’ai pu aborder différentes approches des relations sciences-
société au sein de structures variées (cabinet ministériel, université, institut de recherche,
associations, collectifs citoyens, entreprises, secteur de l’éducation), toujours sous le prisme des
tiers-lieux. Avant d’être des coworking ou des maisons des services publics, les tiers-lieux / FabLabs
sont des espaces de co-production de savoirs et de connaissances. Ce sont par essence des lieux
favorables au développement des relations entre le monde académique et le reste de la société
(collectifs citoyens, associations, PME, etc.). En cela, tous les tiers-lieux devraient être des tiers-lieux
de recherche.
Tiers-lieux édu est composée d’enseignants (majoritairement), d’agents de collectivités, de parents,
de fabmanagers, d’entrepreneurs sociaux et de chercheurs. Son action se situe au croisement de
toutes les formes de l’apprendre. L’association favorise notamment l’émergence de tiers-lieux dans
les établissements scolaires de la maternelle au lycée. Les enseignants, les parents, les enfants ont
besoin de la recherche pour faire émerger des connaissances sur leurs pratiques pédagogiques, mais
les passerelles avec la recherche sont insuffisantes, faute de dispositifs adaptés dans le système
français de recherche et d’innovation. Il est extrêmement complexe pour un chercheur de bénéficier
de terrains en classe sur le long cours, et les politiques publiques s’appuient sur des recherches dites
empiriques qui ne le sont pas toujours.
Nous proposons quatre pistes pour que la LPPR puisse soutenir le développement du tiers secteur
de la recherche. En préalable, nous estimons :
- Qu’il ne faut pas recréer un énième dispositif national de soutien à l’innovation qui s’ajouterait au
mille-feuille existant (CIR, CIFRE, Institut Carnot, IRT, SATT, pôles de compétitivité, etc.).
- Qu’il n’y a pas de politique d’innovation sans prise en compte des spécificités territoriales.
- Qu’il n’y pas de science-société sans citoyens impliqués partout, tout le temps, dès le départ.
Nos propositions sont de :
- Systématiser les services sciences-société et éducation dans les universités, renforcer leurs
moyens (1 % du budget), intégrer la société civile, les tiers-lieux et les FabLabs du territoire dans
le pilotage de ces services (on ne fait pas de sciences-société sans la société), afin de :
- structurer plus rapidement les écosystèmes locaux d’innovation et permettre l’émergence de
projets par les citoyens ;
- sensibiliser les étudiants aux activités scientifiques à vocation professionnelle.
- Intégrer de manière impérative un volet science-société-éducation dans les schémas territoriaux
d’enseignement supérieur, de recherche et d’innovation. Par cela, les orientations nationales
garantiraient une logique d'adaptation aux spécificités de chaque territoire.
- Assouplir les conditions d’accès au CIR pour mieux intégrer le tiers secteur de la recherche :
- améliorer le CIR, dont la Cour des comptes a souligné qu’il bénéficiait avant tout aux plus
grandes entreprises et avait un effet multiplicateur très faible (1,04 en 2015) ;
- modifier les règles d’éligibilité pour permettre aux associations, aux petites entreprises et plus
globalement au tiers secteur de la recherche de bénéficier plus facilement de ce crédit ;
- introduire dans les grandes entreprises bénéficiaires une politique de RSE au profit des
activités de recherche des associations.
- Développer les appels à projets de recherche distribuée s’appuyant sur les FabLabs et les tiers-
lieux (comme le CNES et le Réseau Français des FabLabs avec la fédération Open Space Makers).
Le maintien de l’excellence française dans un contexte de concurrence mondiale ne sera possible
que si des décisions fortes associent durablement la recherche à la diversité des corps sociaux.
Emilie Sarrazin – RésO Villes
L’association RésO Villes met en réseau et accompagne les acteurs (institutions, associations,
citoyens) travaillant dans les quartiers prioritaires de Bretagne et des Pays de la Loire, dans trois
grands domaines : la cohésion sociale, le renouvellement urbain et le développement économique.
Nous avons relevé le besoin de ces acteurs de se doter de compétences scientifiques. Cela nous a
amenés à mettre en place un comité scientifique et à créer une revue scientifique. Mais nous nous
sommes rendu compte qu’il fallait aller plus loin. Nous avons donc accueilli un doctorant CIFRE, avec
tout ce que cela implique pour une petite association comme la nôtre.
Si je suis là aujourd’hui, c’est pour vous dire que nous, les associations, avons éminemment besoin
de la recherche. D’une part, cela nous permet de prendre de la hauteur afin de changer notre regard
et d’accompagner nos actions de manière plus lucide et forcément meilleure. D’autre part, dans un
monde de plus en plus complexe, nous devons nous mettre à disposition de la société avec des
éléments de prise de hauteur. Sur les questions de développement économique par exemple, nous
ressentons le besoin de travailler sur le changement d’échelle, sur le transfert d’innovation – y
compris d’innovation sociale –, mais nous ne savons pas comment faire. Il en va de même sur
différentes thématiques qui arrivent rapidement et fortement dans les quartiers prioritaires, et que
l’on ne sait pas gérer. Nous avons donc vraiment besoin du secteur de la recherche.
Trois points pour terminer.
Lorsque nous avons accueilli notre CIFRE, nous avons essayé de travailler avec d’autres associations.
On m’a demandé : « En tant que directrice, tu ne vas pas avoir du mal à encadrer un chercheur ? »
Beaucoup d’associations ont arrêté d’en accueillir parce qu’elles trouvent que c’est trop compliqué,
qu’ils ne sont pas gérables. Je m’aperçois que nos différents mondes ne se connaissent pas
systématiquement. Il faut savoir faire des ponts.
Il y a aussi une question de temporalité. En tant que structure associative, on se projette à un ou
deux ans. Se projeter sur un temps long, qui est le nécessaire temps de la recherche, n’est pas
forcément facile. Cela crée peut-être des difficultés de compréhension entre ces deux mondes.
Ma dernière question est celle du réseau et de la valorisation de la recherche issue de ce tiers secteur.
Et là, je ne sais pas où ça va aller.
Arnaud Samba – UNCPIE (Union nationale des Centres permanents d’initiatives pour l’environnement)
L’UNCPIE est une association créée en 1977, reconnue d’utilité́ publique en 1994. Elle regroupe 78
associations labellisées « Centres permanents d’initiatives pour l’environnement », et représente
plus de 11 000 adhérents et plus de 800 salariés répartis dans 63 départements et 12 régions. Les
CPIE agissent sur leurs territoires pour que les personnes et les organisations (collectivités,
associations, entreprises) prennent en compte les questions environnementales dans leurs décisions,
projets et comportements, afin d'accélérer la transition écologique. Ce réseau poursuit trois
missions :
- Faire vivre le label en tant que démarche de progrès et d’amélioration continue.
- Outiller et accompagner son réseau avec des programmes, des dispositifs, des méthodes, des
thématiques d’actions en co-construction interne et avec des partenaires.
- S’engager en faveur de l’environnement.
L’UNCPIE entretient depuis toujours des liens avec la recherche académique, et revendique « le
respect de la démarche scientifique par l’appropriation des connaissances pour développer le regard
critique de nos concitoyens, face aux obscurantismes et aux idées reçues ».
Le réseau est par ailleurs convaincu que la transition écologique et solidaire passe par les territoires
et par l’action commune (action publique, citoyens, associations, entreprises, recherche
académique). Il voit la LPPR comme un pas dans cette direction. Deux expériences illustrent ses
attentes vis-à-vis de cette dernière :
- Le projet de recherche « Sensibiliser pour engager », mis en œuvre en 2010 à partir des travaux
de Fabien Girandola (Universités de Bourgogne et d’Aix-Marseille), reposait sur le constat que la
transition écologique passe par des changements de comportements massifs, que la simple
transmission de savoirs est insuffisante à générer. Dans ce cadre, l’UNCPIE a accueilli un
doctorant en CIFRE, avec Fabien Girandola comme directeur de thèse. Le projet a nécessité deux
ans de préparation et a fait face à deux difficultés :
- un manque de confiance a priori vis-à-vis des CIFRE en raison de leur faible nombre dans les
associations, ce qui a valu à l’UNCPIE une enquête approfondie de l’ANRT pour vérifier sa
crédibilité ;
- la nécessité de chercher des co-financeurs (ADEME, Fondation de France et ministère de
l’Agriculture) afin de couvrir les 50 % du salaire du doctorant non pris en charge par la CIFRE.
- Un partenariat avec l’Inrae noué en 2012, qui s’ouvre aujourd’hui aux recherches participatives sur
deux grandes thématiques : la biodiversité et l’alimentation durable. Dans ce cadre, le projet Clé
de sol, qui s’inscrit dans l’appel à projet de recherche participative CO3 (CO-COnstruction des
COnnaissances pour la transition écologique et solidaire), favorise la co-production par des
chercheurs et des citoyens de connaissances sur les sols, à partir de protocoles expérimentés
ensemble. Ce projet s’est heurté à un faible volume financier (135 000 euros sur deux ans et
demi), et a suscité une interrogation : au vu du nombre de financeurs publics et privés impliqués
(ADEME, Fondation de France, Agropolis Fondation, Fondation Daniel et Nina Carasso,
Fondation Charles Léopold Mayer), ne faut-il pas « normer » les modalités de gouvernance, et
notamment impliquer un comité scientifique dans les décisions ?
SYNTHESE
Yannick Kerlogot – Député
Je retiens plusieurs idées fortes :
- Investir dans de nouvelles méthodes, de nouvelles connaissances, de nouvelles thématiques.
- Faire en sorte que la science soit pensée pour un futur enviable, sans porter un discours
anxiogène.
- Redonner aux jeunes l’envie de faire de la science.
- Privilégier des approches horizontales.
- Œuvrer pour la reconnaissance intellectuelle, par le ministère, des acteurs de cette recherche que
l’on a entendue et écoutée cet après-midi.
- Mettre en valeur la complémentarité des connaissances issues de la recherche appliquée et de la
recherche académique.
- Constituer des équipes mixtes recherche fondamentale / recherche appliquée.
- Favoriser la place des communs et de l’open source dans les appels à projets.
- Ne pas recréer de dispositifs supplémentaires pour le tiers secteur de la recherche, mais plutôt
s’appuyer sur ce qui existe.
- Etablir des passerelles entre le monde associatif et celui de la recherche.
- Associer dans les mêmes recherches des chercheurs professionnels et citoyens.
- Construire en commun à travers les savoirs des sciences, les savoirs de l’action et les savoirs de la
vie.
- Reconnaître la légitimité du tiers secteur de la recherche pour défendre les enjeux de la perte de
biodiversité et des changements climatiques.
- Inventer pour les associations un dispositif équivalent au CIR dont bénéficient les entreprises.
- Produire de la connaissance certes, mais aussi la diffuser.
- Identifier les partenaires pertinents pour de l’ingénierie de compétence sociale.
CLOTURE
PROJECTION DANS LE DEBAT PARLEMENTAIRE : LES PROCHAINES ETAPES JUSQU’AU VOTE
Céline Calvez – Députée
Merci à vous pour tous ces témoignages. Je suis fondamentalement convaincue de l’importance de
créer plus de liens avec la société, de donner plus de place à ceux qui habitent notre planète.
Vous avez parlé de la place que l’on pouvait donner à des experts du quotidien : l’apport nécessaire
et bénéfique des patients-experts dans le domaine médical a été reconnu. Il faut que l’on puisse le
faire partout. Vous avez parlé de la lutte contre la pauvreté, et du fait de donner une place
importante à ceux qui la vivent pour pouvoir trouver les bonnes solutions. J’ai eu l’occasion de
travailler sur la politique de la ville, et j’ai vu de nombreux exemples d’aménagements urbains ou
architecturaux certes très intéressants sur le papier, mais qui ne répondaient pas du tout à la vie des
citoyens. Si l’on avait pris la peine de parler avec eux, le résultat aurait été parfait. Cette notion de
participation rejoint donc les questions de légitimité et d’efficacité. En incluant davantage les
citoyens, on arrivera aussi à leur faire prendre conscience de l’apport des sciences, face notamment
au phénomène des fake sciences. Enfin, je rejoins ceux qui parlent de l’éducation comme d’un terrain
à investir. C’est le terrain où, dès le plus jeune âge, nous pouvons rendre la science utile et ludique.
Je voudrais dire quelques mots pour préciser la façon dont nous, députés, pouvons travailler et
appréhender la LPPR. L’impulsion a été donnée par le premier ministre en février 2019. Différents
rapports ont ensuite été produits par des groupes de travail. Ces rapports ont été rendus en
septembre, puis présentés à la commission des Affaires culturelles et de l’Education, dont mes deux
collègues et moi-même sommes issus, ainsi qu’à la commission des Affaires économiques, car la
recherche et l’enseignement supérieur peuvent aussi intéresser l’économie, avec ses apports en
termes d’innovation et de compétitivité. Par la suite, nous nous sommes organisés en commission,
mais aussi au niveau du groupe LREM. Nous avons mis en place il y a deux mois un groupe
d’animation politique propre à cette préparation de loi, co-animé par Pierre-Alain Raphan et Natalia
Pouzyreff, qui est issue d’une autre commission. Ces instances permettront aussi d’écouter et
réfléchir aux lignes que nous voulons défendre par rapport à ce projet de loi.
Au sein de la commission, nous avons pu auditionner la Conférence des présidents d’universités,
avec la volonté de s’attacher à la question de la préparation de la LPPR. Nous aurons d’autres
rendez-vous, que l’on espère pluripartites, pour pouvoir écouter d’autres parties prenantes que les
seules institutions posées. Nous voulons aussi nous ouvrir sur l’étranger pour regarder d’autres
modèles, dans la perspective non pas de les dupliquer, mais de simplifier notre système en
imaginant que ce soit porteur d’efficacité.
S’agissant du calendrier, l’idée serait de pouvoir produire un texte au cours du premier trimestre
2020, pour une présentation en conseil des ministres à la mi-mars. Il faudra ensuite trouver le bon
moment, dans le calendrier parlementaire, pour donner toute son ampleur à cette loi de
programmation et lui permettre d’être appliquée dès 2021.
Pierre-Alain Raphan – Député
Je voudrais vraiment vous remercier. Les interventions ont été passionnantes, aussi lucides et
précises que pimentées. Nous avons reçu quelques messages qui sont tout-à-fait justes. Cela rejoint
beaucoup de combats que l’on tente de mener avec mes collègues au sein de la commission des
Affaires culturelles et de l’Education.
Vous avez devant vous un modèle tout aussi hybride. J’ai eu la chance autant de travailler dans des
grands groupes que de fonder des entreprises, diriger des associations, et soutenir en janvier 2019
un doctorat bizarre, mieux reconnu à l’étranger qu’en France. Je partage donc beaucoup de vos
témoignages.
Je vois un premier sujet autour de la complexité de notre approche associative en France. Pour
obtenir des subventions, une association peut avoir près de dix ministères pour interlocuteurs, sans
parler des échelles locale et européenne. On s’empêche de réussir. Un jour, un commissaire
européen m’a dit : « Vous les Français, vous êtes bizarres. Il y a 100 millions d’euros par an que vous
n’allez pas chercher sur des subventions associatives. » Je lui ai répondu qu’avec le système mis en
place par la Commission européenne, on a l’impression qu’elle ne veut pas que l’on aille chercher ces
100 millions. Pour simplifier l’accès à ce système, nous poussons donc à la création de guichets
uniques ou à l’idée que les Etats aillent chercher ces 100 millions et nous les mettent à disposition
plus simplement.
Je pense aussi que l’on est un peuple horriblement scientifique. Nous nous devons de simplifier le
travail ensemble en confiance. Quand j’ai débuté ma propre recherche, j’ai compris que cela allait
être complexe et difficile à cause des guerres de chapelle entre académiques et non-académiques
pour trouver le financement des recherches. Et l’on se demande pourquoi il y a des fuites de
cerveaux...
Dans le cadre de la LPPR, la ministre nous a donné trois objectifs : 1) simplifier, 2) simplifier, 3)
simplifier. Pour l’instant, ce sont des mots. Ce que l’on veut maintenant, c’est travailler avec vous. Je
vous propose d’être votre porte-parole au sein de la LPPR, parce que je sais ce que l’on peut faire
quand on a envie de travailler ensemble. J’ai même pu modifier la loi PACTE avec le tiers secteur de
la recherche : on manquait de données empiriques académiques sur les innovations managériales, et
ce sont des associations qui me les ont fournies. Nous avons pu prouver que plus on ferait de
l’inclusion à tous les niveaux dans l’entreprise, moins il y aurait de dégâts sociaux et plus il y aurait de
performance économique, et avons proposé de nouveaux budgets pour favoriser les innovations
managériales.
Nous inviterons le tiers secteur de la recherche dans nos auditions internes puis dans les auditions
officielles, en vue de la rédaction du texte de la LPPR qui sera présenté le 18 mars prochain en
Conseil des ministres. Vous pouvez compter sur nous pour porter cette voix.
CONCLUSION
Lionel Larqué – Alliss
Je voudrais remercier fortement Olivier Dulucq et Blanche Leridon, du cabinet du président de
l’Assemblée nationale, avec lesquels nous cheminons depuis une année pour vérifier que le tiers
secteur de la recherche est un sujet politique qui existe, qui se manifeste, qui est cohérent et varié.
Nous avons extrêmement bien travaillé ensemble. Je suis convaincu qu’avec les propos que vous
venez de tenir, la préparation du débat parlementaire pourra être fructueuse, à une condition :
prendre conscience, comme l’a souligné Philippe Larédo, que le débat public sur la question des
politiques publiques de recherche n’est pas satisfaisant.
Je vais énoncer quelques points qui me paraissent essentiels suite aux propos que viennent de tenir
Céline Calvez et Pierre-Alain Raphan.
Mon premier point est de rappeler qu’il est de votre responsabilité de porter politiquement
l’ouverture à la société de la politique publique de recherche. Ce n’est pas un gâteau que l’on a envie
de se partager entre quelques acteurs, et ce n’est pas non plus une cerise sociale sur le gâteau
académique. C’est aussi, comme l’a affirmé Patrick Levy, un espace de ressourcement de l’ensemble
des acteurs, des activités, des problématiques du système public de la recherche et de
l’enseignement supérieur. Une grande diversité de problématiques, de questions, de méthodes et
d’enjeux repose déjà sur cet acteur qu’est le tiers secteur de la recherche mais qui, aujourd’hui,
n’existe pas politiquement. Cela pose une question structurelle de légitimité, de financement, de
montée en compétences. D’où, en terme « syndical », le fait de revendiquer la place du tiers secteur
de la recherche dans une loi de programmation, et que cela apparaisse comme un titre spécifique de
la loi. C’est pour nous une revendication minimale, à partir de quoi des choses peuvent s’enclencher.
Mon deuxième point reprend ce qu’a très justement dit Pierre-Benoît Joly : le tiers secteur de la
recherche et les activités qu’il promeut ne sont pas solubles dans la science ouverte – en tout cas,
dans une science ouverte qui serait réduite à la publication ouverte et aux données. Au niveau
doctrinaire, à l’OCDE, à la Banque mondiale, à la Commission européenne, la science ouverte
englobe les données, les publications, mais aussi les processus de collaboration de recherche. Or ce
dernier point n’a pas été intégré dans la dynamique de science ouverte du gouvernement. Ce levier-
là doit être cliqué dans la loi.
Mon troisième point vise à alerter la représentation nationale sur le niveau de frustration politique
des acteurs eu égard aux efforts colossaux, sociaux et cognitifs qu’ils déploient sur le terrain. Eric
Vindimian a rappelé que nous sommes tous d’accord ici pour dire qu’il y a un sujet, des dynamiques,
des acteurs qui sont là. Cela doit donner lieu à un signal politique pour reconnaître tout ce que cela
enclenche en termes de dynamiques sociales, cognitives et territoriales. Résoudre cette frustration
politique en s’appuyant sur les acteurs qui sont présents, et qui représentent des millions de
personnes sur le terrain en France, nous paraît jouer gagnant à tous les coups.
Mon dernier point sera pour lancer une alerte politique. Je pense qu’une grande partie des acteurs, y
compris au cabinet de la ministre, sont convaincus que ceci est un sujet et qu’il faut le faire avancer.
Mais parmi eux, un certain nombre sera tenté de le mettre en cinquième roue de carrosse quand il
s’agira de faire les choix. J’espère donc – et je m’adresse aussi aux collègues journalistes qui sont
dans la salle – que, dans la manière que l’on aura de valoriser ce travail de montée en puissance
politique, nous aurons des papiers à la hauteur d’un enjeu qui ne relève pas simplement des budgets
et du nombre de postes, mais du sens de la politique de recherche et de la nature des connaissances
produites. On le sait pertinemment : les deux choses qui ne sont pas scientifiques dans une politique
de recherche, ce sont les questions que l’on pose et les gens qui les posent...
A ce titre-là, je pense que le tiers secteur de la recherche est un acteur déterminant de la politique
publique, et je suis convaincu que si vous comptez sur nous pour animer le débat, à rebours nous
comptons sur vous pour le porter politiquement au sein de votre groupe et, je l’espère, de la façon la
plus œcuménique possible.
LE TIERS SECTEUR DE LA RECHERCHEUNE INNOVATION DE LA LOI DE PROGRAMMATION PLURIANNUELLE DE LA RECHERCHE 20 JANVIER 2020
Priorités stratégiques : affronter 5 défis
Depuis les années 1950, les systèmes de recherche et d’innovation des pays de l’OCDE reposent ex-
clusivement sur deux piliers : le pôle public d’Enseignement Supérieur et de Recherche (ESR),
la recherche industrielle (notamment par le renforcement des champions nationaux sur les marchés
mondiaux). Si ce système a contribué à une croissance économique forte depuis lors, il atteint
aujourd’hui des limites évidentes qui tiennent aux dégâts environnementaux, à une vision étriquée de l’innovation,
à l’accroissement des inégalités territoriales.
Aussi, la Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche (LPPR) a, entre autres responsabilités,
le devoir de nous permettre d’affronter cinq grands défis : ressourcement des écosystèmes, résilience des sociétés,
cohésion des territoires, approfondissement démocratique, soutenabilité des économies.
Objectif : ouvrir le Système Français de Recherche et d’Innovation à la société
Cette ouverture permet de sortir du paradigme dit du « deficit model » qui postule, à tort, depuis les années
1960, que la société est défiante envers « la » science. Or toutes les analyses contestent cette assertion, démon-
trant, au contraire, que la société a confiance dans ses institutions scientifiques plus qu’en toute autre (études du
Cevipof depuis 1972).
Cette ouverture du Système Français de Recherche et d’Innovation (SFRI), fondée sur la confiance, permet des
modalités innovantes de co-production de connaissances. Elle reposera sur :
- des évolutions internes de l’agencement institutionnel actuel ;
- l’apport de nouveaux acteurs ;
- des efforts budgétaires ciblés.
Un moyen : incorporer le tiers secteur de la recherche comme acteur de plein droit du SFRI
Le tiers secteur de la recherche désigne le secteur non marchand (associations, syndicats, collectivités locales),
le secteur marchand à but non lucratif (économie sociale et solidaire, groupements professionnels), les organisa-
tions à but lucratif de petite taille (auto-entrepreneurs, groupements agricoles ou artisanaux), impliqués dans des
activités territorialisées de recherche et d’innovation. Ce tiers secteur de la recherche constitue un ensemble d’ac-
teurs qui ont besoin de produire des connaissances lorsqu’ils sont engagés dans des transformations dont les béné-
fices économiques, sociaux et environnementaux sont considérables.
Son organisation en France
Notre pays est probablement, au sein de l’Union européenne, celui où le tiers secteur de la recherche - en tant que par-
tenaire de la recherche publique - est le plus organisé. Ceci est dû à de nombreuses expérimentations depuis les an-
nées 2000 (dispositifs régionaux, financements par des fondations ou agences, réseaux d’acteurs autonomes, etc...).
La plateforme ALLISS est née du besoin de structurer le champ. Elle a pour mission d’améliorer sa coordination et le
renforcement de ses capacités. La singularité de cette plateforme en Europe réside dans la participation conjointe
d’établissements publics d’enseignement supérieur et de recherche et d’acteurs du tiers secteur de la recherche.
Ce que permet le tiers secteur de la recherche
- Mettre en œuvre une politique d’innovation élargie : l’innovation - littéralement introduction de la nouveauté -
est généralement définie comme une invention qui a trouvé ses utilisateurs. Dans l’usage courant, innovation est
associée à la compétitivité économique, au marché, au brevet... Néanmoins, depuis une dizaine d’années, on
observe un élargissement de l’innovation par ses processus (innovation distribuée, ascendante, interactive...) et
par ses objectifs (innovation sociale, durable, responsable, frugale...). On parle d’innovation élargie ;
- Assumer le défi du croisement des savoirs : une variété de savoirs est à l’œuvre dans les recherches citoyennes.
Elles s’inscrivent dans une démarche de démocratie et de justice épistémique, en tant que la science : a/ est une
aventure collective, b/ où s’opère des croisements de savoirs féconds (scientifiques, d’expérience et d’action), c/
qui ne peut ignorer les enjeux la juste redistribution des pouvoirs entre les porteurs de savoirs ;
- Adapter l’innovation aux besoins locaux et aux dynamiques des territoires. Ceci permet de mieux répartir les
efforts, notamment par le déploiement d’un réseau de tiers lieux de recherche.
Un cadre universel d’action
Les principes et visions portés par le tiers secteur de la recherche reposent sur deux textes à portée universelle :
- le programme de développement durable à l’horizon 2030 avec ses 17 objectifs (‘Agenda 2030’), voté en
assemblée générale de l’ONU le 25 septembre 2015.
- la déclaration mondiale sur l’enseignement supérieur pour le XXIème siècle adoptée le 9 octobre 1998 par
l’UNESCO,
Ce dernier texte, fruit de nombreuses années de négociation internationale, articule avec acuité
les enjeux d’excellence et de pertinence des politiques publiques d’enseignement supérieur et de recherche.
Approche législative : non concurrence & adaptation de l’existant
- Les propositions ici promues sont non concurrentes des investissements nationaux faits au profit des
établissements publics d’ESRI. L’économie du tiers secteur de la recherche repose sur des besoins
spécifiques et complémentaires ;
- Tous les outils juridiques et techniques et tous les dispositifs existent déjà. Il importe de les prioriser,
les élargir, les réformer, les adapter progressivement.
Les principales propositions
Au-delà des amendements reconnaissant le tiers secteur de la recherche comme participant du SFRI, la
LPPR, en tant que loi de programmation, énoncera en premier lieu la hauteur des efforts budgétaires de
l’État entre 2021 et 2027. Les propositions formulées ici s’appuient sur une connaissance et une analyse
fines des besoins des acteurs et de leurs capacités, comme celles de l’administration, à accompagner la montée en
qualité du tiers secteur de la recherche sur cette période. Aussi, nous suggérons de nous appuyer sur des dispositifs
existant, à savoir :
- Un volet dédié de Convention CIFRE, avec instructions ad hoc (objectif 100 en stock, 300 en flux) ;
- Une montée en charge du dispositif expérimental des Fonjep-Recherche par un soutien direct du
MESRI (objectif 500) ;
- Un enrichissement du dispositif du Fonds national de la vie associative par un volet « Recherche »
compensant le désavantage du non accès au Crédit Impôt Recherche, cumulable avec le Cifre
(objectif 2,2M€) ;
- La mise en place d’un Fonds d’expérimentation « Vie Associative & Recherche », dispositif de
co-financement des recherches et co-recherches, par élargissement de l’actuel Fonds d’Expérimentation Jeunesse
(objectif 4M€) ;
- Un plan de développement terrirorial spécifique de Tiers lieux de recherche en lien avec le CGET
et l’Association nationale des tiers lieux (objectif 100 tiers lieux de recherche en France) ;
- Un soutien au développement d’un fonds mutualiste du tiers secteur de la recherche, favorisant le soutien des
investisseurs privés, structure qui doit permettre la veille, l’accompagnement et la soutenabilité des projets ;
- La structuration d’un Observatoire statistique du tiers secteur de la recherche (avec un éventuel futur hébergement
au sein de l’Observatoire des Sciences et Techniques) ;
- Un plan dédié à la formation professionnelle (initiale et continue, apprentissage) des acteurs du tiers secteur de
la recherche et des professionnels de la recherche (objectif 2M€).
Quelques pépites du tiers secteur de la recherche
Epidemium – La science collaborative s’attaque au cancer / Biologie fondamentale
Ce programme de recherche, lancé par La Paillasse en partenariat avec les laboratoires Roche, est dédié à
l’utilisation des « open big-data » dans l’étude du cancer. Il a suscité l’émergence d’équipes multidisciplinaires
(sensibilisation aux facteurs de risque, data visualisations, analyses et autres modèles prédictifs sur le cancer
et ses facteurs de risque), par le biais d’outils mis à disposition gratuitement, à partir de quelque 21.000 jeux
de données en « open source », d’autres venant des laboratoires Roche. Plusieurs publications de rang A ont
déjà été produites.
Tetris – Pays de Grasse / Chimie environnementale
Avec le Festival de Cannes, des milliers de tonnes de bâches sont utilisées chaque année pendant 3 jours
pour une durée de vie de 400 ans ! La SCIC Tetris a lancé un projet de leur recyclage. Son centre de
recherche a été mobilisé en partenariat avec Mines Paris Tech et Centrale Marseille autour de l’idée de
réemploi, réutilisation et recyclage. Après avoir fait la preuve de concept auprès de l’Ademe, la technique a
été transférée à des artisans locaux. Tetris emploie 80 salariés et mobilise 250 bénévoles. La SCIC rassemble
un ensemble d’activités et d’acteurs (associations, communauté d’agglo, repair’café, coopérative alimentaire,
start-up, chantiers d’insertion, collectifs citoyens).
Resolis – Publication / Transition alimentaire
Mieux valoriser la recherche, l’évaluation et la valorisation des pratiques de terrain, tel est l’objet de cette
association composée de chercheurs et d’acteurs de terrain émérites. Par le biais d’une méthodologie éprou-
vée, en appliquant la règle d’or scientifique qui consiste à capitaliser les savoirs par la publication validée des
résultats, l’objectif est d’instaurer une «science » de l’action de terrain. Parmi de nombreux domaines ayant
fait l’objet d’une publication, le champ des pratiques alimentaires a donné lieu à la l’édition d’un catalogue
raisonné de 350 initiatives sur tout le territoire.
ATD Quart Monde / Université d’Oxford - Dimensions et mesures de la pauvreté / SHS
Pour la première fois, une recherche internationale est menée avec la participation d’universitaires, de pra-
ticiens et de personnes en situation de pauvreté en tant que co-chercheurs, traitées sur un pied d’égalité.
Mesurer la pauvreté pour mieux la combattre, c’est aussi la comprendre dans toutes ses dimensions. Pour
ATD Quart Monde, on doit y parvenir en associant les personnes les plus exclues. Cette recherche est menée
par Croisement des savoirs. Les participants proviennent de Tanzanie, France et Royaume Uni, Bangladesh,
États-Unis, Ukraine et Bolivie.